mercredi 20 avril 2016

De l'élitisme dans la langue et la littérature (1) - par Marc Zaffran/Martin Winckler


Ces jours-ci, je suis tombé sur une vidéo produite et mise en ligne par "The Guardian", le grand quotidien britannique de gauche. 
(NB : Le livre ci-contre de Bill Bryson, pour les lecteurs qui lisent l'anglais, est épatant pour découvrir comment la langue anglaise s'est construite. Je recommande aussi vivement "Honni Soit Qui Mal Y Pense" de Henriette Walter, dans lequel l'histoire - et les relations intimes - entre français et anglais sont magnifiquement racontées). 




Elle m'a semblé si juste que je n'ai pas résisté au plaisir d'en traduire le texte pour les non-anglophones. Sa pertinence est au moins aussi grande en France qu'en Angleterre. 

Pour commencer en voici la traduction/adaptation : 

"Les puristes de la langue sont paternalistes, prétentieux et tout simplement dans l’erreur.

Mettez ensemble les mots « puristes » et « langue » et soudain, certaines personnes se sentent très fières. Elles ne devraient pas.
La plupart des puristes de la langue utilisent une forme élitiste et de plus en plus désuète de l’anglais. Et ça leur donne un sentiment de supériorité. Or, dans la plupart des cas, les erreurs qu’ils relèvent n’ont strictement aucune importance. 

Si je jette un coup d’œil autour de moi en disant : « Il y a ici moins (less) de gens que je ne l’imaginais » est-il réellement nécessaire de relever que, les individus pouvant être comptés, il aurait fallu dire « un plus petit nombre » (fewer) ? De fait, la plupart d’entre nous utilisent les mots « less » et « fewer » indifféremment et sans grande confusion. Je n’ai jamais vu de supermarché où les clients se grattent la tête devant la file « 10 articles ou moins ». Tout le monde comprend. 

Certains puristes pensent que la langue évolue, pas la grammaire. C’est faux. Il était autrefois considéré comme incorrect de commencer une phrase par les mots « And » (Et) ou « But » (Mais). Et qu’en est-il de la « règle » voulant que le pronom de référence, à l’écrit, devrait être « He » (Il, et non Elle) ?

Certains puristes disent que nous avons besoin d’un langage commun, d'une série de règles que tout le monde comprend. Mais trop souvent, ils oublient de dire que les règles qu’ils entendent promouvoir ne sont pas celles de tout le monde, mais les leurs. 
Prenez le mot « Literally », par exemple. Je me fous littéralement de savoir si j’utilise le mot ‘littéralement’ de manière correcte - en respectant une règle de « correction » datant de l’ère élisabéthaine. Et le Dictionnaire d’Oxford s’en fout également, puisqu’il a mis à jour sa définition pour y intégrer l’usage contemporain. 

Il n’est pas difficile de voir à quel point le rapport de force est asymétrique quand il est question de purisme de la langue. Ceux qui soulignent les « erreurs » sont souvent plus vieux, plus riches, plus blancs ou, tout simplement, plus universitaires que les personnes qu’ils traitent avec condescendance.

Trop souvent, il s’agit pour eux de faire taire quelqu’un, ce qui est d’autant plus scandaleux quand il s’agit d’une personne qui a déjà du mal à prendre la parole. 

Nous devrions passer plus de temps à écouter ce que les autres ont à dire, plutôt qu'examiner la langue avec laquelle ils le disent." 

******


C'est vrai en Angleterre mais ça n'est pas moins vrai en France, où l'on passe plus de temps à évaluer les autres sur la manière dont ils s'expriment, au lieu d'écouter ce qu'ils ont à dire - autrement dit, sur la forme et non sur le fond, qui est tout de même l'essentiel pour l'auteur.  

"Bien parler", "bien écrire" sont des notions très relatives. Il s'agit toujours de parler ou d'écrire "bien" par rapport à des référentiels arbitraires. En France, c'est la langue de l'Académie, l'accent parisien distingué (celui des Germano-Pratins, pas celui des "Titis" de Belleville ou Pigalle), la littérature de Flaubert, de Proust, de Gide et bien d'autres auteurs que Jean Paulhan pensait dignes de figurer dans sa bibliothèque. Autrement dit, des langues orale et écrite depuis très longtemps adoptées, cultivées et peu à peu imposées par les classes dominantes. 

Les accents et parlers régionaux sont considérés au mieux comme "folkloriques", au pire comme étant vulgaires. Les "fautes" d'orthographe ou de grammaire sont raillées comme autant de signes d'inculture. Or, la "maîtrise" du langage est un critère de classe. Ni plus, ni moins. C'est sur des critères de langue (écrite ou orale, de prononciation ou de "style") qu'on sélectionne, qu'on embauche, qu'on retient ou qu'on rejette, qu'on inclue et qu'on exclue. La langue (comme les "bonnes manières", qui ne s'apprennent que dans les "bons milieux") fait partie des critères de "goût" que Pierre Bourdieu décrit dans La Distinction - Critique sociale du jugement (Minuit, 1979). 

Et ces critères de langue s'étendent, immanquablement, aux jugements sur la "qualité" des écrits. 

****

Ainsi, ces derniers temps, j'ai vu circuler sur Facebook un "florilège" de livres électroniques auto-édités présentés comme ridicules. La personne qui les avait ainsi assemblés sur son blog entendait se moquer de leurs titres, de leur contenu et, bien entendu, de leurs auteurs. Pour faire rire de quoi, exactement ? De textes considérés comme "maladroits" ou "mal foutus". Mais par qui ? Selon quels critères ? Des critères de classe, encore une fois. 

Or, les "qualités" littéraires d'un texte sont toujours subjectives. Quand je suis face à un texte, je peux dire qu'il me touche ou non. Que je le comprends, ou non. Et je sais que ce n'est pas un critère de qualité. C'est seulement une appréciation personnelle. Le fait que je le trouve beau ou non en dit plus sur moi et ma lecture (et ma formation, et mes préjugés, et mes "goûts") que sur le texte lui-même, et je me garderai bien de le qualifier. Le fait est que je n'ai pas besoin de qualifier un texte pour me définir. Je n'ai même pas besoin de le lire, au prétexte qu'il faudrait l'avoir lu. Mais ça, c'est moi. Je ne fais pas partie de la classe dominante. Je ne suis pas universitaire. Je n'éprouve aucun désir de contrôler la manière dont d'autres que moi écrivent. Je ne me sens pas de mission de "défense" de la langue ou de la grammaire. Ni même de la "littérature". La seule chose que j'ai envie de défendre, c'est la liberté de s'exprimer.





Je me souviens d'avoir longuement discuté avec Philippe Lejeune, quand il venait de publier l'un de ses livres consacrés à l'écriture intime, du mépris porté par l'université aux journaux d'anonymes - tandis qu'on ne jurait que par ceux des écrivains estampillés. Pour qu'un journal intime soit "intéressant", il faut que son auteur ait été adoubé - en raison d'une production plus noble, un roman, de préférence. Critères de classe, encore une fois. J'en ai souffert quand ma principale activité d'écriture était mon journal intime. Le mépris que j'entendais s'exprimer au sujet de tous ces "écrivains ratés qui tiennent un journal intime en pensant que c'est de la littérature", je le reconnais dans le mépris qu'on voue à ceux et celles qui, aujourd'hui, "se déversent sur les blogs et les réseaux sociaux". Il suffit de lire les journaux. 

Alors, quand on cloue au pilori des textes, quels qu'ils soient, afin de faire rire la galerie, j'éprouve un besoin irrésistible de prendre la défense de leurs auteur.e.s, car objectivement, je suis de leur côté. Ils ont voulu s'exprimer et ils ou elles l'ont fait avec leurs mots, leurs procédés, leurs images, leur mise en page. Ce n'est peut-être pas fait selon les canons de l'édition (ou du "bon goût") et oui, c'est du compte d'auteur ou de l'auto-édition électronique (et tout ce qui est électronique est souvent considéré comme méprisable par ceux qui ne jurent que par le papier, matière noble s'il en fut...) mais c'est un travail personnel, et rien qu'à ce titre, ça mérite le respect. Si je n'avais pas la chance d'être un auteur publié par un éditeur "classique", j'aurais certainement recours à l'auto-édition sur une plateforme électronique. 


Dans le même ordre d'idée, je trouve insupportable d'entendre "C'est à peine meilleur que du..." suivi par le nom d'un.e auteur.e populaire (je pense à Marc Lévy et à Guillaume Musso, en particulier), comme si ces auteurs-là représentaient ce qu'on peut faire "de pire" en littérature. Encore une fois, c'est là une pure posture de classe. 

Car, n'en déplaise à celles et ceux à qui Marc Lévy et Guillaume Musso donnent des boutons, il ne faut quand même pas oublier que ces auteurs ont des lecteurs. Et beaucoup de lecteurs - qui, dans leur majorité, sont d'ailleurs des lectrices, comme pour l'essentiel des livres vendus en France. On est même en droit de penser, étant donné l'économie du livre aujourd'hui, qu'un certain nombre des lectrices de ML et GM lisent aussi, en passant, des auteurs adoubés par la critique ou l'intelligentsia. 

Car ce qu'écrit Daniel Pennac au sujet de la lecture d'un roman n'est pas moins vrai quand il s'agit de l'ensemble des romans : on a le droit de lire ce qu'on veut, comme on veut et tout ce qu'on veut, sans préjugé et sans hiérarchie pré-déterminée. 

Il y a des livres de toutes sortes. Certains ont la chance d'avoir une grande diffusion. D'autres non. Certains sont lus longtemps, d'autres non. Certains sont écrits pour bouffer, d'autres parce qu'ils sont importants pour leur auteur.e. Et ce n'est pas toujours visible du premier coup. Et ce ne sont pas les honneurs et les flon-flons qui nous le disent. Boris Vian, ce "touche-à-tout" plutôt méprisé par l' "élite" littéraire de son temps est aujourd'hui dans la Pléiade et L'écume des jours est un best-seller en poche cinquante-cinq ans après sa mort. En revanche, savez-vous qui étaient Claude Farrère, Adrien Bertrand et Ernest Pérochon ? Probablement pas. Même s'ils ont été dûment "reconnus" de leur temps. (Par le prix Goncourt, rien que ça.) 

La portée d'un livre, comme la vie d'un individu, est intimement liée aux circonstances. Et les circonstances, par définition, c'est comme le vent : ça tourne. C'est de la loterie. Du hasard. 

Je connais de très bons livres qui n'ont pas eu le public que je leur souhaitais et il m'est arrivé plus d'une fois de me mettre à lire un livre dont tout le monde disait le plus grand bien (Les particules élémentaires, L'élégance du hérisson) et de les reposer au bout de quarante pages. C'était mon droit le plus strict, et c'est mon droit de le dire. 
Ca ne les disqualifie aucunement (ça veut seulement dire que ces livres-là ne sont pas faits pour moi - ou que je ne suis pas fait pour les lire)mais ça ne me disqualifie pas non plus en tant que lecteur. Alors, j'aimerais qu'on cesse de regarder de haut et de disqualifier les gens qui écrivent et lisent hors des "canons" de la grammaire ou de l'édition française. 

******

Je sais que ce genre de discours "relativiste" agacera beaucoup les puristes de la langue et de la littérature. Mais tant pis. Ce qu'il y a de beau dans le monde d'aujourd'hui, comparé à celui d'il y a cinquante ans, c'est que les médias ne sont plus réservés au happy few : on peut user de la syntaxe qu'on veut, comme on veut, sur une page FB, dans un tweet, un SMS ou un courriel ; on peut publier ce qu'on veut en e-book (oui, même les photos de ses chats) ; et on peut exprimer son avis librement sur un blog et le faire lire à qui voudra. 

Toute cette liberté de s'exprimer, relativement nouvelle, perturbe sans doute le commerce des journaux, des magazines et de l'édition, mais elle n'empêche personne de penser, au contraire, car le monde est plus riche quand il permet la mise en commun de multiples points de vue. (Oui, même sur l'internet.) 

Et si ça empêche certaines personnes de dormir, c'est bien dommage pour elles. Personne ne leur interdit d'admirer les auteurs et les oeuvres qu'elles aiment. Personne ne leur demande de lire ce qu'elles n'aiment pas. 

Ce qu'on leur demande, c'est de garder leur mépris dans leur poche. 

Martin Winckler 

mardi 12 avril 2016

Trois semaines en France



Entre le 14 mars et le 4 avril, je me suis rendu en France pour le Salon du Livre, plusieurs conférences et rencontres et une douzaine de rencontres-signatures en librairie.
Et ça s'est plutôt bien passé. Plutôt très bien. Vraiment très bien.
Aperçu de ces trois semaines. (Je cite beaucoup de gens, et si certain.e.s ne se retrouvent pas dans la liste toutes mes excuses, ça ne veut pas dire que je n'étais pas heureux de les (re)voir.)  


Semaine I 


Mardi 15 mars, 17h, Université de Toulon 
- Conférence : "Femmes, genre, santé "

J'étais invité par Martine Sagaert, professeur de littérature à l'université de Toulon, et responsable du Laboratoire de recherche Babel. J'avais rédigé un long développement qui n'était pas exactement une conférence, mais une suite d'idées qui allaient me permettre de développer le thème. 

Pour celles et ceux que ça intéresse, ce brouillon est publié sur cette page.
La conférence ayant été filmée, la vidéo devrait être prochainement postée sur le site de Canal U, le "Web TV" de l'enseignement supérieur et de la recherche.  

Je remercie vivement Martine Sagaert, ses collègues, les étudiant.e.s et le public qui sont venus écouter cette conférence. 

Mercredi 16 mars, 15h, Fac de médecine de Reims (Amphi 4) – Rencontre avec les étudiants en médecine de l’association l’Autobus

Le contexte était différent, mais l'enjeu n'était pas moins important. Je ne suis pas invité dans des facultés de médecine française, sinon de manière très occasionnelle mais toujours enrichissante - je pense au département de Médecine Générale de la faculté de médecine de Brest et au Dr J-M Boles, qui anime l'espace de réflexion éthique de Bretagne. Cela étant, beaucoup d'étudiants en médecine et de médecins de toutes les générations et de nombreuses spécialités m'écrivent, et certains me demandent de passer les rencontrer dans leur faculté. Quand je me rends en France, je m'efforce d'aller à leur rencontre. En mars 2016, je suis allé à Reims et à la faculté Kremlin-Bicêtre. Je parlerai de la seconde un peu plus tard.


A Reims, j'étais invité par l'association l'Autobus 975, pour parler de maltraitance médicale, en particulier dans l'enseignement. Mon copain et collègue généraliste Franck Wilmart, qui travaille à Soissons, s'y trouvait lui aussi. On a commencé par passer un extrait de "L'école de médecine", le feuilleton documentaire auquel j'ai collaboré (Arte, 2007) et puis la discussion a commencé. C'est plutôt réconfortant de voir des professionnels de santé se réunir sans hiérarchie (il y avait là des étudiants.e.s, des sages-femmes, des infirmier.e.s, des patient.e.s et même au moins un professeur de médecine) pour partager leurs réflexions sur un sujet à peu près complètement ignoré dans les facultés de médecine françaises. (Ce qui me fait penser que je devrais faire la liste des sujets qui ne sont jamais - ou presque jamais - abordés dans la formation des médecins comme la mort, la sexualité, l'empathie, l'altruisme, les inégalités sociales, les préjugés et les racismes dont nous sommes tou.te.s affligé.e.s, le burn-out, et j'en passe...).

De cette rencontre il reste des souvenirs et quelques photos, mais surtout un sentiment très intense que quand on veut bien faire et faire du bien, c'est moins difficile ensemble.


Merci Marguerite, Matthieu et les autres pour l'invitation. Merci, Franck d'avoir été là et de servir de modèle aux étudiants présents. Merci Claire d'avoir amené vos parents et merci à eux d'être venus - et Salut, Olivier ! où que tu sois !


***************



Jeudi 17 et Vendredi 18 mars, 14h, Paris - "La pudeur de l'entretien" - Conférence  dans le cadre du colloque « Féminité, Maternité, quand la pudeur se dévoile » 

Passionnant colloque. J'ai pu assister à plusieurs conférences, le premier matin et la deuxième après-midi (juste après avoir donné la mienne), et je suis convaincu que les autres étaient d'excellent niveau. J'ai particulièrement apprécié la diversité des intervenants - de l'historien Jean Claude Bologne à l'animatrice de radio Brigitte Lahaie en passant par le rabbin Delphine Horvilleur. 


Pour ma part, j'ai parlé du respect de la pudeur pendant l'entretien en consultation, en insistant sur l'idée qu'un soignant peut parfaitement répondre aux patient.e.s qui le consultent et les conseiller utilement sans leur poser de questions intrusives - sur leur sexualité, leur vie personnelle, leur histoire familiale par exemple. Respecter la pudeur des patient.e.s c'est leur faire comprendre qu'ils et elles n'ont pas à se mettre à nu - au propre ou au figuré - mais sont en droit de protéger leur intimité, physique et émotionnelle.


Un beau colloque, auquel j'étais fier d'avoir été convié, et pendant lequel j'ai appris beaucoup.
Merci à Bernadette de Gasquet, Daniel Lacroix et Anthéa de m'avoir invité.

************


Jeudi 17 mars, Paris, Salon du Livre - France Inter, "Le Nouveau Rendez-Vous" par Laurent Goumarre. 


Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas navigué sur les ondes de France Inter, et cette émission-là était une belle manière de réembarquer pendant une heure. Benoît Lagane, qui prépare l'émission de Laurent Goumarre, m'avait invité pour parler de mon roman, mais aussi pour me faire rencontrer Thomas Lilti, dont Médecin de campagne allait sortir. Ayant pu voir le film en avant-première, j'ai pu dire tout le bien que j'en pense



Samedi 19 mars, ParisSalon du Livre"Les enfants des livres". 

Rencontre avec de jeunes lecteurs en compagnie de Erik Orsenna et Monique Proulx en partenariat avec Le Labo des histoires.

Une page sur le site du Labo des histoires (que je remercie vivement) retrace l'ensemble de la rencontre.

C'était émouvant d'entendre trois jeunes gens parler avec leurs mots, leur coeur, leur sensibilité de trois livres très différents, devant un large public. Pour moi, c'était aussi une sorte de rêve réalisé avec quarante-cinq ans de retard. Au milieu des années soixante, le journaliste Jacques Garat, qui animait l'émission de l'après-midi "Aujourd'hui Madame" avait voulu consacrer un segment aux lectures des adolescents. Ami de ma famille, il m'avait proposé de faire partie du "panel" de jeunes gens qui viendraient parler de livres. J'avais reçu un colis de bouquins à explorer, avec mission de dire ce qui m'avait intéressé, ce que j'avais mis de côté, ce que j'avais pensé des livres que j'avais lu.
L'émission n'a pas eu lieu, et je suis resté sur mon envie de parler du seul roman qui m'avait captivé - et sérieusement captivé : L'île de Robert Merle.



C'est un roman d'aventures, réécriture de l'histoire des mutinés de la Bounty.
A l'époque, je ne lisais que des romans de science-fiction et des romans policiers, le plus souvent anglo-saxons. C'était la première fois qu'un aussi gros roman français, écrit par un auteur contemporain, me happait complètement, autant par la langue que par la narration. En le lisant, j'ai compris qu'on pouvait aussi écrire de bons romans en français (je veux dire, en plus de Jules Verne,  Victor Hugo, Alexandre Dumas, Maurice Leblanc et Boris Vian...) et qu'on pouvait trouver de bons romans dans des collections de littérature "blanche", pas seulement dans les rayons de littérature populaire. L'île avait tout d'un roman populaire...  à ceci près qu'il était publié par Gallimard. Comme quoi...

J'ai profité de cette rencontre pour faire le "quatrième adolescent" et parler de mon admiration pour le roman de Merle, quarante-cinq ans plus tard.

Merci, jeunes gens ! (Et merci à l'équipe du Labo des Histoires !) 

Dimanche 20 mars, Paris, Salon du LivreRencontre entre Craig Thompson (Habibi, Blankets) et Martin Winckler.

Quelle belle rencontre ! J'avais lu deux graphic novels de Craig Thompson (en particulier le magnifique Blankets) et la rencontre était centrée sur le processus créatif comparé d'un roman et d'un graphic novel. Alors que nous avons grandi dans des milieux radicalement différents (Craig Thompson dans une famille chrétienne fondamentaliste où la seule lecture autorisée était la Bible, et où télévision et cinéma étaient interdits jusqu'à ce qu'il soit un adolescent), nous nous sommes découverts tout un tas de points communs : nous avons tous deux appris à dessiner/à écrire seuls, sans formation particulière et le processus de composition de nos livres est très similaire : nous partons sur une idée relativement simple, faisons un schéma approximatif de l'histiore et construisons le récit au fur et à mesure que nous avançons. Craig est un homme charmant, drôle et extrêmement fin, et ça m'a fait beaucoup de bien de l'écouter parler de son travail. (Et il a dessiné aux pinceaux de couleur une dédicace "familiale" à l'intention de mon fils parisien, en plus...)






19 mars, Paris, 16 à 17 h Signature, Stand P.O.L, P51
20 mars, Paris, 16 à 17 h Signature, Stand P.O.L, P51

Je suis un auteur chanceux : mes signatures au Salon du Livre se passent toujours bien. C'est sans doute parce que je suis un bavard : je réponds toujours volontiers aux questions, et ça m'intéresse aussi de savoir qui sont les lectrices et lecteurs qui viennent me voir, pour personnaliser la dédicace, quand je le peux. Il est rare que les personnes qui viennent se faire signer un livre n'aient rien à dire d'elles-mêmes (le plus souvent, elles n'osent pas) et ça donne donc toujours lieu à un échange qui peut durer quelques minutes ou nettement plus. Cette année, j'ai été frappé par deux choses, à toutes les signatures : d'une part, beaucoup de femmes (souvent des professionnelles de santé, mais pas seulement) venaient me remercier d'avoir écrit Le Choeur des femmes, ce qui évidemment me touche beaucoup, mais n'en finit pas de me surprendre (J'y reviens plus loin.) ; d'autre part, beaucoup de lectrices/teurs venaient pour offrir un livre à quelqu'un d'autre en même temps que pour s'en offrir un. Deux fins d'après midi de suite, pendant près de deux heures (car les lectrices passaient avant et après les horaires indiqués sur le programme), j'ai fait de belles rencontres, chaleureuses et gratifiantes.


A la fin de la soirée du dimanche, l'équipe de POL m'avait proposé de "plier" le stand et d'aller souper ensuite tous ensemble. A 19 h, quand le Salon a fermé, après avoir bu un verre, tout le monde a rangé les livres dans de grands cartons
 
avant de les déposer sur des palettes qui seraient renvoyées chez le diffuseur.
A la fin de la soirée, alors que nous nous apprêtions à partir, j'ai engagé la conversation avec deux personnes qui étaient arrivées juste avant la fermeture. La première travaille chez Folio. La seconde se nomme Céline Leroy. Avec un sourire et sur un ton sybillin elle me déclare : "Nous nous sommes déjà recontrés, il y a dix-huit ans..."  Comme je secoue la tête, car je ne la reconnais pas, elle poursuit : "J'étais jurée du Livre Inter l'année de La Maladie de Sachs."

J'avais longtemps gardé des contacts avec deux jurées de cette année-là, mais je me suis toujours demandé ce que les autres étaient devenus. Ce soir-là, j'ai eu la chance de pouvoir poser la question directement à l'une des intéressées. Céline m'a raconté que son expérience de jurée en 1998 a stimulé son intérêt déjà grand pour le monde du livre et de l'édition. Au cours des années qui ont suivi, tout en faisant des études de littérature anglaise, elle a travaillé chez plusieurs éditeurs et elle est devenue traductrice professionnelle. Et, si je me fie au nombre et à la qualité des romans qu'on lui confie, elle excelle à ce qu'elle fait.


(Ci-contre, une de ses traductions...) 
 
Ce n'était pas seulement une belle rencontre, mais une occasion de remercier, à travers elle, les vingt-quatre personnes qui ont choisi mon roman cette année-là. Je sais que j'aurais de toute manière continué à écrire sans le Livre Inter, mais l'immense public auquel ce prix m'a fait connaître a rendu les choses beaucoup plus faciles par la suite. Avec la publication de mon premier roman par P.O.L, le Livre Inter a été l'une des deux chances déterminantes dans mon itinéraire d'écrivant.

Merci à Paul, Jean-Paul, Vibeke, Antonie, Lucie, Juliette, Flandrine, Emmeline L., Olivier C. et Céline Leroy pour cette belle soirée. (Et un petit bonjour à Dominique M., en passant, en souvenir du Livre Inter.) 


*********


Semaine II 


Lundi 21 mars, 19h30, Lyon, Conférence « Parcourssanté des femmes : petit inventaire des idées reçues ». (ENS de Lyon.)




Y'avait du monde. Autour de 450 personnes, d'après les animatrices de "La Cause des Parents", qui m'avaient invité. C'était impressionnant, d'autant qu'il s'agissait d'une conférence payante, car l'association devait assumer le coût de la salle et rémunérer un certain nombre de personnes.

J'avais fait une petite liste d'idées reçues (publiées ici) , et je n'ai pas eu le temps de toutes les développer. Ce sera pour un prochain livre. Ou une prochaine conférence, qui sait ?

Merci à Nadège Mourenas et Elisabeth Martineau. Merci à Eva et Kevin, qui étaient ma famille dans la salle. Merci à toutes celles et tous ceux qui se sont déplacé.e.s pour m'écouter.


*********
Pendant les deux semaines qui ont suivi, je suis allé dans tout plein de librairies... 
Il y aurait beaucoup à dire pour toutes ces rencontres, je vais essayer de donner en quelques mots l'essence de chacune. 

Mardi 22 mars, 19h, Montreuil, Rencontre-signature, Librairie Folies d’encre9 Avenue de la Résistance, 93100 - Montreuil 

Une lecture plus que bienveillante de la part de Jean-Marie Ozanne, le fondateur; des cadeaux d'Amanda Spiegel, qui prend sa suite dans la continuité ; des retrouvailles avec une amie ("Jacqueline, de La Milesse" m'a-t-elle dit pour se faire reconnaître comme si j'en avais eu besoin) que je n'avais pas vue depuis très longtemps ; et une lectrice qui, apprenant que Abraham et fils est le premier volume d'un cycle qui en comptera cinq, me dit : "Alors il va falloir revenir pour les quatre autres..." 


Mercredi 23 mars, 19.00, Lille – Rencontre-signature à la librairie La Lison, 8 place Jeanne d’Arc, Lille 




Alix et Fantine, les deux cousines qui ont créé cette librairie en 2015, avaient installé des bancs sur toute la longueur de leur salle, et au bout une table et des tabourets de bistro. Après la rencontre, riche et chaleureuse (je suis désolé, je vais me répéter en disant ça de toutes, probablement, c'est banal, je sais, mais c'est comme ça que je l'ai ressenti) nous sommes allés souper, à deux pas, dans un restaurant italien. L'enthousiasme et la "pêche" d'Alix et Fantine est réjouissante, quand on sait qu'ouvrir et faire vivre une librairie indépendante, centre névralgique de circulation culturelle dans un quartier ou une ville, c'est un sacré boulot. Je leur tire mon chapeau d'avoir entrepris ça toutes les deux. Et merci à toutes celles et ceux qui sont venu.e.s ce soir-là à ma rencontre (Merci, Fanny ! Salut, Marieke !).






Jeudi 24 mars, 19.30, Lyon – Rencontre-signature à la librairie Passages


Audrey Chanonat, jeune photographe qui m'avait tiré le portrait le lundi précédent pour la revue de la Cause des Parents, est revenue faire quelques clichés à Passages, où Eric Fitoussi (dont le père a joué aux échecs sur le bateau avec mon père, en 1961, à notre départ d'Algérie) et son équipe m'ont accueilli. Je souris encore en pensant à la première intervention/question, énoncée par mon copain généraliste Bernard Rechatin (qui avait fait trois heures de route pour venir, pour une autre raison, mais en avait profité pour passer...). "Abraham et fils ne commence pas du tout comme tes autres bouquins et pendant deux cents pages je me suis dit que j'allais laisser tomber, et puis finalement, je me suis laissé emporter jusqu'au bout." Il exprimait sincèrement des réactions auxquelles je m'attendais, et je lui en suis reconnaissant. Ecrire, pour ce qui me concerne, c'est essayer à la fois de faire un livre nouveau. Le risque que les lecteurs ne suivent pas est réel, et je l'accepte. C'est réconfortant de savoir que certains - comme Bernard et beaucoup d'autres - font l'effort de s'accrocher. 

Merci à Eric et toute l'équipe de Passages, à tous les lecteurs/trices (en particulier M et Mme Juliet) pour leur présence, et bien sûr à à Eva et Kevin.   



Vendredi 25 mars au matin, Lyon - Petit-déjeuner-rencontre à la librairie Vivement Dimanche ! (à la Croix-Rousse)  

Je ne pouvais pas rester deux soirs à Lyon, alors il avait été convenu que j'irais à Vivement Dimanche ! le matin, vers 9.30, pour une rencontre autour d'un croissant et d'un jus d'orange. C'était une expérience, et elle s'est révélée tout à fait concluante puisqu'on a un peu manqué de place, et que (si je me souviens bien) tous les croissants ont été dévorés. Je recommande cette formule de "petit-déjeuner-autour-d'un-livre" à tous les libraires qui voudront l'essayer. En tout cas, pour ce qui me concerne, je suis partant. 


Merci à Maya Flandin, à toute l'équipe et aux lecteurs matinaux. Et si je n'ai pas pu partager votre repas ce midi-là, j'espère que ce n'est que partie remise. 


Vendredi 25 mars, 19.30, Vienne - Rencontre-signature à la librairie Lucioles.

Chaque librairie a son lieu d'accueil, chaque libraire son style pour faire parler un auteur, chaque auditoire une attention particulière. Dans la salle de rencontre, derrière la librairie Lucioles, qui se trouve face au temple d'Auguste et de Livie, à Vienne, j'avais le sentiment de parler devant une société secrète. Le cadre, sans doute. Mais ça s'y prêtait tout à fait, s'agissant d'un roman qui évoque les romans d'aventure, du Club des Cinq à Bob Morane... :-)

Merci à Michel Bazin, à toute l'équipe et aux membres de la Société (Secrète) des Lecteurs de Lucioles. Merci aussi pour le fabuleux dîner. J'espère que vous avez eu l'occasion de retourner goûter le minestrone aux Saint-Jacques... :-)



Semaine III 

Si je triche un peu en faisant commencer la troisième semaine le samedi, c'est parce que les trois villes suivantes sont celles de ma vie passée en France - à rebours.

Samedi 26 mars, 16-18 h, Le Mans - Rencontre-signature à la librairie Thuard

Je connais la librairie depuis son ouverture, il y a... plus de vingt ans, et je suis allé y acheter des livres jusqu'à mon départ, en 2009. J'avais décidé de me rendre au Mans cette fin de semaine pour y revoir des amis de longue date, et les Thuard en ont profité pour m'inviter à rencontrer leurs lectrices et lecteurs dans leur salle du premier étage, sous la belle structure en bois comparable à une coque de navire. A l'issue de la rencontre, j'ai retrouvé des personnes que j'aime beaucoup et que je n'avais plus vus depuis une dizaine d'années. (Marie-Laure et Michel, quel bonheur de vous voir !) 

J'ai eu également l'occasion de revoir une de mes anciennes patientes des années 1980. Elle avait dix ou douze ans quand je suis devenu son médecin traitant. Elle est aujourd'hui mère d'une adolescente. C'était très émouvant de la revoir adulte, de l'entendre me parler de ses parents, et me dire quel médecin j'avais été pour l'enfant, puis l'adolescente qu'elle fut. Je sais que le passé est souvent idéalisé, mais je suis heureux de savoir que dans son souvenir,  je défendais dès les début de ma carrière les mêmes valeurs qu'aujourd'hui.

Merci à Anneke et Bernard Thuard ainsi qu'à Anne-la-Bibliothécaire, Dominique D., Michel et Jacqueline D., Jacky C., Michèle et Alain, Michel et Jojo, Pascal et Olivier et tous les copains présents ce week-end là. (Et félicitations, Adélaïde !) 

29 mars, 19.30, Tours – Rencontre-signature à la librairie La boîte à livres 

J'ai fait mes études de médecine à Tours entre 1973 et 1981. A l'époque, la Boîte à Livres était une toute petite librairie installée au centre-ville. C'est là que j'ai acheté La Vie mode d'emploi, en 1978, et que mon aventure de lecteur de Georges Perec a commencé.

En 1998, année où j'ai publié La Maladie de Sachs, la BAL a été rachetée par de nouveaux propriétaires et s'est transplantée dans un local auparavant occupé par... un magasin de vêtements. (c'est trop souvent l'inverse...). C'est aujourd'hui une magnifique librairie qui s'étend sur trois niveaux, et dotée d'un petit café.

Ce n'était pas la première fois que je venais y rencontrer des lecteurs, peut-être la sixième ou septième en dix-huit ans. Et, une fois encore, c'était très émouvant parce que c'était dans cette ville-là, dans cette librairie-là. 

Merci à Joel Hafkin, Stéphane et Clémentine, Mélanie C., aux lecteurs venus de près ou de loin, à Frédérique, et bien sûr Danièle et Eric.


... And sometimes, you can go home. 

Dans le précédent texte publié sur ce blog, j'explique pourquoi je suis parti de France pour aller vivre au Canada. J'y explique aussi que je n'ai plus de "chez moi", à proprement parler. 

Deux mois plus tard, je me suis rendu compte que ça n'était peut être pas tout à fait vrai.

Mercredi 30 mars, 14.30, Pithiviers – Signature à la Librairie Gibier 

Le midi, j'ai déjeuné avec des copains d'école primaire et du lycée que, pour certains, je n'avais pas revus depuis 1973 ou 1974. Le repas était organisé par l'une d'elles, Sylvie L., qui avait repris contact avec moi à l'époque où j'ai publié Légendes et Plumes d'Ange, deux récits (auto)biographiques dans lesquels Pithiviers tient une grande place, puisque j'y ai grandi.  


Il se passe des choses assez préoccupantes, à l'hôpital de Pithiviers. La maternité, qui fut l'une des toutes premières en France, au cours des années 70, à proposer d'autres manières d'accoucher (inspirées par Pour une naissance sans violence et les travaux de Frédérick Leboyer), est en voie d'être fermée. Une délégation de parents et de professionnel.le.s de l'hôpital est venue me demander mon soutien, que je leur ai donné sans réserve. (Ils ont profité de ma présence pour inviter aussi une équipe de France 3, et ils ont bien fait...). Je ne pouvais pas faire moins. 


Le mercredi 30 mars dans l'après-midi, je n'ai pas seulement revu les frères Gibier, qui tiennent la librairie, mais aussi des amis d'enfance et d'anciens patients de mon père, des amis de mes parents, ainsi que Nicole P. et Marie-Jo L., qui furent toutes deux mes mentors à l'hôpital, au service de Médecine I, quand j'y travaillais comme agent de service (autrefois, on disait "garçon (ou fille) de salle").


Pendant ces heures-là, j'ai eu le sentiment d'être rentré chez moi.




(Un pithiviers portant le clocher de Pithiviers. (c) Jean-Jacques Lallemant, pâtissier émérite.)


Mercredi 30 mars, 18.00, Orléans – Rencontre-signature à la librairie Les Temps Modernes

Dans le train du matin qui me conduisait de Tours à Orléans, je revoyais Le chagrin et la pitié, le film de Marcel Ophüls consacré à l'Occupation. Au cours d'une séquence, Pierre Mendès-France raconte son arrestation et son incarcération dans une prison de Clermont-Ferrand, où Jean Zay, qui avait été ministre du Front Populaire était lui aussi enfermé. C'est Mendès-France qui, lorsqu'ils se retrouvent en prison, apprend à Jean Zay la naissance de sa fille cadette, Hélène, survenue après son arrestation. 

Or, la librairie Les Temps Modernes est dirigée par Catherine Martin-Zay, fille aînée de J. Zay. Sa soeur Hélène Mouchard-Zay, pour sa part, a créé le CERCIL (Centre d'études et de recherches sur les camps d'internement du Loiret). J'ai visité le CERCIL en 2014 à l'occasion d'une exposition consacrée à Max Jacob, et alors que je projetais l'écriture de Abraham et fils. C'était par conséquent doublement émouvant de rencontrer les filles de Jean Zay (toutes deux étaient présentes), avec les libraires et les lecteurs des Temps Modernes. 

Et de retrouver ensuite plusieurs des "Petits Vauriens" (Pithivériens) du midi et de l'après midi, car ils avaient tenu à venir me retrouver à Orléans et à m'emmener souper dans un restau juste à côté de la librairie. 

Et la journée s'est terminée par un véritable repas de famille, où il fut beaucoup question de l'école et du lycée, des jeudis après midi et des goûters passés à lire des bandes dessinées, et bien sûr, du souvenir de nos parents. 

Un grand merci à toi, Sylvie. Et salut, tous les copains. On remet ça pour le volume II ! 




Jeudi 31 mars, 19.00, Paris – Rencontre-signature à la librairie Atout Livres 

Je m'attendais à ce que l'assistance soit plus réduite que dans les librairies précédentes car le 31 mars était un jour de grève générale et de manifestation monstre à Paris. Et cependant, beaucoup de lectrices et de lecteurs avaient bravé la pluie et les intempéries pour venir à la rencontre organisée par Atout Livres. Une fois encore, je me suis senti gratifié par la présence de toutes et tous, par l'accueil de la librairie dirigée par Quentin Shoëvaërt-Brossault et David Rey, et par la présentation de mon roman faite par Nathalène, l'une des libraires. 

Et puis ça m'a donné l'occasion de revoir Sophie K et Gilda...  


Vendredi 1er avril, 18.00, Paris - Rencontre à la Faculté de médecine du Kremlin-Bicêtre. 


Cette fois-ci c'est l'association d'étudiants en médecine "Les penseurs de plaies" qui me convait à parler de soin. Il y avait du jus de fruits, des gâteaux (dont un biscuit au chocolat aussi bon que celui de ma mère, c'est dire...) et des étudiants extrêmement motivés. Franck Rolland (étudiant en médecine et en Master 2 Ethique Science Santé Société), qui m'avait invité, m'a demandé de lire des extraits du Choeur des femmes et puis on est parti là-dessus. 

Comme toujours, j'ai eu le sentiment de parler trop et de laisser trop peu les étudiants parler. Comme toujours, j'étais gratifié de voir qu'ils appréciaient ce que je disais, et que beaucoup étaient venus parce qu'ils avaient envie d'être soutenus et encouragés par un aîné. Ce soir-là, c'était moi, mais ça pourrait être d'autres médecins, des sages-femmes, des infirmier.e.s, des orthophonistes - tous les soignants ont quelque chose à partager avec tous les soignants. L'une des choses qui manquent le plus aux facultés de médecine française, c'est la transdisciplinarité, le partage des expériences et des connaissances, des points de vue et des critiques.

Il m'est évidemment difficile de savoir ce que ma présence et mes discours militants ont pu apporter aux étudiant.e.s présent.e.s. Mais je n'étais pas là pour convaincre quiconque. J'étais là pour faire ce que je fais toujours : défendre des valeurs, encourager celles et ceux qui croient aux mêmes idéaux, leur remonter le moral face aux brutalités (verbales et parfois physiques) qu'on leur fait subir, leur dire que même si les choses changent lentement - surtout à l'échelle d'une vie - elles changent tout de même. 

En 1977 ou 78, à Tours, je me suis rendu à une conférence du Syndicat de la médecine générale. Le soir dit, dans l'amphithéâtre, nous étions, à tout casser, huit - en comptant les deux conférenciers et l'étudiant qui les avait faits venir (si mes souvenirs sont exacts, il s'agissait de Jean-Yves Nau, devenu par la suite journaliste au Monde). 
Les deux conférenciers se nommaient Gabriel Granier et Philippe Van Es. 
Ils avaient apporté des numéros de leur revue, Pratiques, et nous ont raconté beaucoup de choses. Pour l'étudiant que j'étais, ils représentaient des contre-exemples de ce qu'on nous assénait à l'hôpital : la pratique médicale de proximité, la démédicalisation, la critique des modèles dominants. 
Je ne sais pas ce qu'ils ont apporté aux autres étudiants présents (et je ne me rappelle pas qui était là) mais je sais que, pour tout un tas de raison, ils ont eu un effet important sur ma vie en me proposant 
de nouveaux modèles. Je leur en suis pour toujours reconnaissant. 

C'est en souvenir et en continuation de leur engagement, et en souvenir, aussi des camarades de l'époque, que je parle. 

Merci à Franck et à tout.e.s les étudiant.e.s présent.e.s de m'avoir donné une nouvelle occasion de le faire. 

(Et merci, Sandrine, pour la batterie à plat et les câbles.) :-)  

Voilà. Mon récit est terminé. Merci de m'avoir lu. Et je concluerai en vous invitant toutes et tous à découvrir la télésérie britannique Call the Midwife, la meilleure série sur la santé à l'écran à l'heure actuelle, et dont j'ai rebattu les oreilles de tous mes auditoires pendant ces trois semaines. 

Bonne découverte !!! 

Mar(c)tin 


Post-Scriptum 1 : Merci Anne, Jean-Louis, Félix, Florine, Thomas et Babou. :-) 



******

"I didn't know that people lived like this..." 
"But they do, and that's why we're here." 

("Je ne savais pas que des gens vivaient comme ça." 
"C'est pourtant la réalité, et c'est pour ça que nous sommes ici.") 





******


Post-Scriptum 2 

Une journaliste de Libération, Claire Devarrieux, m'a adressé après mon retour à Montréal quelques questions en vue d'un article qu'elle allait écrire. La quatrième question était la suivante : 



Dans quel état avez-vous trouvé la France?

​"Curieusement, alors que je ressentais un mélange de résignations désespérées au cours de mes séjours précédents, j'ai senti cette fois-ci - bien sûr, c'est complètement subjectif - une sorte de bouillonnement que je n'ose pas qualifier de pré-insurrectionnel, mais en tout cas significatif d'un ras-le-bol général. 

Beaucoup de gens sont en train de passer de la frustration à la colère, et ça se voit via les mouvements comme Nuit Debout et tout ce qui vibre sur les réseaux sociaux. Pour la première fois depuis dix ans, j'ai le sentiment que les choses peuvent bouger. Elles risquent de bouger brutalement, comme quand une plaque tectonique passe par-dessus celle qui l'empêche de bouger, mais tout mouvement vaut mieux que l'immobilisme, la momification, le mépris et la violence institutionnels des soixante années écoulées. 

Comparée à des pays équivalents, la France est un pays aux institutions et au fonctionnement archaïques, un pays paternaliste, dogmatique et intolérant. Je le disais déjà il y a dix ans et certains me regardaient de haut, mais aujourd'hui, quand j'y vais, j'entends tout le monde le dire. Je trouve ça plutôt positif. La résignation (et le conformisme) sont en train de s'effondrer, le partage par l'Internet et les réseaux sociaux y sont pour beaucoup, et j'en suis très heureux. 

Montréal, le 12 avril 2016