lundi 21 septembre 2015

Déclaration d'intention

Il y a quinze jours, après avoir terminé la lecture d'Abraham et fils, le roman que je viens d'achever, Paul Otchakovsky-Laurens, mon éditeur, m'a demandé d'écrire une "déclaration d'intention". C'est le texte que l'on glisse dans les volumes envoyés en "service de presse" aux libraires et aux journalistes susceptibles de lire le livre, de l'apprécier et d'en parler. (Il faudra qu'un de ces jours je parle du service de presse. C'est un moment croustillant dans la vie d'un livre et de celui qui l'a commis.) 

Voici une version un peu remaniée de ce texte, qui peut intéresser aussi d'éventuels lecteurs. Enfin, j'espère.

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Abraham et fils – au commencement d’un cycle romanesque


Un jour du printemps 1963, une Dauphine jaune se gare devant le monument aux morts, sur la grand-place de Tilliers, petite ville de la Beauce.

Elle transporte Abraham Farkas, médecin rapatrié âgé proche de la cinquantaine et son fils Franz, âgé de neuf ans et demi. Abraham n’a qu’une seule préoccupation : son fils. Franz en a deux : son père et les livres. Leur vie a été brisée un an plus tôt par un « accident » qui a laissé Franz amnésique et dont Abraham ne lui parle jamais. 

Ils s’installent rue des Crocus, dans la grande maison où Abraham va se remettre à travailler. Ils vont devoir apprendre a vivre avec le reste du monde et à lui faire face, ensemble et séparément. Pour Abraham, qui n’est pas aussi monolithique que son fils le pense, la situation est simple : soigner est son métier, et il va l’exercer à Tilliers comme il le faisait à Alger. Quant à Franz, il n’est pas aussi fragile que son père le croit.

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Comment voit-on le monde quand on n’a que son père comme repère ? Comment comprend-on les sous-entendus des uns, les agressions des autres ? Comment fait-on la différence entre le bien et le mal ? Et comment grandit-on quand on a oublié qui on est, et quand la seule personne qui le sait reste parfois muette ? À défaut de pouvoir explorer les recoins de sa mémoire, Franz se met à explorer la grande maison et la petite ville qui constituent désormais leur univers. 

À travers deux récits entrecroisés – les souvenirs de Franz et ceux d’un narrateur mystérieux et presque omniscient –, ce roman décrit une relation filiale singulière. C’est aussi une réexploration de la France au début des années soixante à travers les yeux et les oreilles d’un garçon de dix ans qui découvre tout en même temps la cruauté de la vie, les pièges de la mémoire, les secrets enfouis par l’histoire avec sa grande hache, les surprises de l’amour et les forces qui animent notre imaginaire.

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Abraham et fils est le premier volet d’une suite romanesque, qui devrait (si je mène le projet à terme) s'intituler Les voies des hommes et devrait (mais ça peut changer) compter quatre volumes. 

Après avoir consacré de nombreux romans aux relations entre patients et soignants, j’ai eu envie de parler des relations qui nous lient à nos proches, à nos amis, à tous les humains que nous croisons – ces relations sur lesquelles l’histoire individuelle et collective, la géographie, les circonstances sociales et politiques, l’imprégnation culturelle, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, l’image de soi et le regard des autres exercent une influence tantôt marquante, tantôt inaperçue.

J’ai aussi toujours voulu savoir comment se construit un individu, et rêvé de suivre chaque étape de sa formation, de son éducation, de son imprégnation culturelle et morale, entre l’enfance et l’âge adulte.

Enfin, comme beaucoup d’entre nous, j’aurais aimé pouvoir me retourner afin d’examiner comment le monde alentour a modelé ma vie et celle de mes proches, et de poser une nouvelle fois les questions qui continuent, longtemps après, à nous tarauder. Pourquoi dit-on un mot plutôt qu'un autre ? Pourquoi fait-on tel geste ou se retient-on ? Pourquoi prend-on telle route plutôt que la tangente ? Pourquoi, un petit matin, choisit-on de se geler près du feu qui s'éteint au lieu d’aller, nom d'un petit bonhomme, se réchauffer entre les bras qui nous attendent dans la grange ?

On aimerait pouvoir repartir en arrière et trouver les réponses, mais ce n’est pas possible.

Sauf par la fiction.

Alors, dans ce roman et les suivants, j’installerai des personnages imaginaires sur les lieux où j’ai vécu entre 1963 et 1989 pour les plonger dans les événements sociaux, culturels et politiques de cette période. Et je leur confierai le soin d’explorer à leur tour et par d’autres détours une partie limitée, mais signifiante, de ce labyrinthe changeant qu’est la vie. 

MW