lundi 21 janvier 2013

Alter et Ego sont dans un bateau.


(Martin Winckler et Marc Zaffran, entretien) 


Marc Zaffran : Comment veux-tu qu'on procède ?

Martin Winckler : Je ne comprends pas ta question.  

MZ : J'ai proposé à @nalyses une interview croisée, mais qui interroge qui ?

MW : Mmhhh… L'écrivain, c'est toi. Moi, je ne suis que la façade. A toi la parole.

MZ : OK…

MW : Mais d'abord, je te présente : tu te nommes Marc Zaffran, tu es né en 1955 à Alger. Tu as grandi en France à partir de 1962, tu as fait des études de médecine, puis pratiqué la médecine de famille à la campagne et dans un hôpital de province entre 1983 et 2008. Tu t'es installé à Montréal en 2009 et tu es résident permanent du Canada depuis 2011. Après ton premier roman, La Vacation, chez P.O.L en 1989, sous le pseudonyme de Martin Winckler – c'est à dire : bibi – tu en as publié quinze autres, ainsi que des nouvelles, des contes, des essais sur la culture populaire – les téléséries en particulier – mais aussi le cinéma et la bande dessinée américaine, des manuels médicaux pour le grand public, des livres plus ou moins pamphlétaires consacrés à la relation de soin... En tout, une cinquantaine de bouquins. C'est ça ?

MZ : A peu près. Je n'ai pas fait le compte. Il y en a un ou deux que je préfère oublier.

MW : Vraiment ?

MZ : Vraiment.

MW : Alors on n'en parlera pas. Mais on reparlera de la bibliorrhée.

MZ : Si tu veux.

MW : Commençons par une question simple qu'on te pose souvent, et qu'on se pose pour tous les écrivains : depuis quand écris-tu ?

MZ : Je ne me rappelle pas exactement. Mes archives les plus anciennes sont des cahiers de nouvelles transcrites à l'âge de treize ans, mais probablement écrites au cours des deux années précédentes. A quatorze ans, je me mets à tenir un journal. Mais je ne sais pas s'il y a eu un "début", à proprement parler… Je vois ça comme une sorte de glissement insensible de la lecture à l'écriture, l'une dans le prolongement de l'autre. A l'époque, je passe mon temps à relire – donc, à réinventer – les  livres que j'aime. Aujourd'hui, quand j'écris, j'ai le sentiment d'inventer – j'utilise ce mot parce qu'il signifie aussi bien "découvrir" qu' "imaginer" – le  texte de chacun de mes livres à mesure que je l'écris afin de pouvoir enfin le lire.

MW : Pourquoi "enfin" ?  

MZ : Parce qu'une fois que j'en ai eu l'idée, mais tant que je ne suis pas assis pour l'écrire, il est là, quelque part, dans ma tête. Je m'en fais une idée fantomatique, souvent écrasante et impossible à circonscrire tout à fait. Quand je pense à un livre, quand l'idée m'en vient d'abord, j'ai le sentiment que je suis face à une sorte de cathédrale, un monde que je ne parviendrai pas à remplir. Et puis, une fois au travail, ça devient un monde à taille humaine, habité par les histoires. Je pense d'ailleurs que s'il me semble vide et vaste avant l'écriture c'est précisément parce qu'il n'est pas encore habité. Par les personnages, par leurs histoires, par leurs paroles.

MW : Est-ce que le résultat écrit est décevant par rapport au "projet mental" ?

MZ : Décevant, non. A mesure que le roman prend peu à peu ses contours, l'image initiale disparaît, et quand j'ai fini je l'ai oubliée ; le texte l'a remplacée. Une fois terminé, le roman est moins écrasant que l'idée initiale, mais aussi plus juste. Et j'espère, tout aussi riche pour le lecteur. Alors, déçu, non. Insatisfait, oui, parfois.

MW : Peux-tu préciser ?

MW : Il m'arrive, pendant l'écriture, et parfois après, de ne pas être content d'un chapitre, d'un passage, d'un tournant du livre, mais toujours pendant l'écriture et à ce moment-là je fais marche arrière, ou je coupe le texte qui ne "va nulle part" et je reprends. Mais je ne m'aventure jamais dans une direction qui ne me va pas car si ça n'est pas la bonne, je cale très vite. Et puis je suis très exigeant avec moi-même quand j'écris pour P.O.L. Et Paul Otchakovsky-Laurens est plus exigeant que mes autres éditeurs… même si paradoxalement, c'est lui qui me fait le moins de remarques formelles. Mais il m'a déjà refusé – à juste titre – deux livres. Et ce refus a confirmé mon sentiment plus ou moins précis que le livre n'était pas fait pour être publié. Mais, d'un point de vue général, je ne rends pas un livre à un éditeur si je ne suis pas content du résultat, si je n'ai pas atteint l'objectif que je m'étais fixé en commençant.

MW : Et cependant, tu n'as pas tout le livre en tête avant de te mettre à le rédiger.

MZ : Non. J'ai le début et la fin, le plus souvent : j'écris beaucoup le début de mes romans, parfois plusieurs fois ; et je sais à peu près où je veux finir – sinon les dernières phrases, du moins la dernière scène ou la dernière situation. Une fois que j'ai mon début bien en main, je me lance. Il y a bien sûr, en cours d'écriture, des moment de tâtonnements, de doute, de réflexion intense sur la manière dont je vais "boucler" toutes les histoires de manière satisfaisante – à mes yeux, du moins – mais comme je sais où je veux aller, je trouve toujours un moyen d'avancer.

MW : Et qu'est-ce qui vient en premier ? La narration ou le travail de la langue ?

(...) 

L'intégrale de cet entretien est publié par la revue en ligne @analyses. Cliquez ici pour le lire intégralement et/ou le télécharger. 

vendredi 11 janvier 2013

Autoportrait en baladin


A Virginie D. 


Pour moi - et je parle ici seulement pour moi - écrire n'est pas un "don" ou une capacité particulière. Plutôt un trait de personnalité, dont je ne peux pas plus me défaire que de la couleur de mes yeux. 

Une vilaine habitude égoïste, comme le fait de plonger dans un film ou un livre. Au fond, quand j'écris, je plonge de la même manière. Dans une histoire de mon cru qui emprunte à la fois à mon expérience sensible, à mon imaginaire et à ce que j'ai appris (en lisant, en écoutant, en regardant). Mais c'est la même plongée.

Pendant longtemps, j'ai vécu l'écriture comme une manière secrète de surmonter un handicap – mon incapacité à dire, ma difficulté à me lier aux autres. Ecrire, à l'adolescence, c'était un peu m'échiner à apprendre des tours de passe-passe pour me les faire à moi-même, debout devant un miroir. Personne ne regardait. Je n'osais pas faire mes tours en public. Quand je m'y aventurais (quand je donnais à lire ce que j'avais écrit), je déclenchais au mieux un sourire complaisant, au pire un regard méprisant. " C'est quoi, ça ?"

Alors même que je ne les livrais qu'à des yeux choisis, on recevait mes démonstrations (les cahiers pleins d'histoires que je donnais en offrande) comme des gestes tantôt incongrus, tantôt pitoyables, tantôt vaniteux.
Pour qui me prenais-je donc avec mes pâles imitations ?

Un jour, une personne ou deux (je ne te remercierai jamais assez, Raphaël...) ont ouvert de grands yeux bienveillants devant un petit truc que j'avais mis au point tout seul, juste pour voir si ça pouvait marcher. Et là, j'ai découvert avec stupéfaction que ces regards ressemblaient à ceux que je portais sur mes modèles. Je me suis senti à la fois ravi et embarrassé. Est-ce que mon petit truc de rien du tout le justifiait, le méritait ?

Il m'a fallu longtemps pour me départir de mon sentiment d'indignité, me convaincre que mes petits travaux de plume avaient un intérêt.

Aujourd'hui, je sais que l'écriture n'était pas (n'est jamais, pour personne) une activité solitaire un peu suspecte. J'arrive même à la qualifier d'activité artistique – même si j'ai toujours beaucoup de mal à penser que mes textes sont de la même nature que l'interprétation d'un morceau de Gershwin par Bill Evans, une planche de Gotlib ou de Sienkiewicz ou le travail stupéfiant de la troupe de danseurs que j'ai vue il y a quelques mois  répéter sans musique et dont les figures, frôlements et respirations m'ont laissé vibrant d'émotion.

Quand j'écris, j'ai encore et toujours l'impression d'être l'adolescent qui a passé des années à essayer de comprendre et de reproduire les tours de magie (les livres) qu'il admirait puis d'inventer les siens. Je n'ai pas de mérite : j'aime ça. C'est seulement un petit tour de mon cru. Face aux géants du genre, je ne ferai jamais le poids.

Oui, je sais, un livre ça a "du contenu", ce n'est pas seulement une illusion. Oui. Et justement. Les grands livres vous restent longtemps au fond de la rétine. Les miens, qui dit qu'ils ne sont pas seulement un feu de paille ?  

Alors, chaque fois que je termine un livre, un texte, un message, j'ai envie de présenter des excuses. Pour avoir pris du temps, sollicité de l'attention, mobilisé de la réflexion (dans le meilleur des cas) - et de remercier celles et ceux qui me les ont accordés. Et aujourd'hui encore je ne pense pas qu'écrire est un "don". Je veux dire "une qualité exceptionnelle suscitant l'admiration". D'un trait de personnalité, j'ai eu la chance de pouvoir faire un mode d'expression, un outil, un métier. Ca m'a pris du temps, car c'est du boulot.

J'ai travaillé. Sans avoir conscience que chaque fois que j'écrivais quelque chose, j'apprenais quelque chose : une manière nouvelle de mettre un mot après l'autre, de raconter sans tout dire d'un coup, d'embobiner le lecteur (la lectrice…) avec mes jeux de mains (jeux de vilain), de lui en mettre plein la vue en faisant disparaître une tour Eiffel dans un chapeau ou jaillir un éléphant sous le piano.

Mettre le tour au point (écrire le livre) c'est ce qu'il y a de plus long, de plus difficile, mais une fois le numéro lancé sur la scène et le lecteur, la lectrice installés dans leurs fauteuils, les jeux sont faits. Qu'on me suive ou non jusqu'au bout, ce n'est plus moi qui tire les ficelles, le livre existe seul. 

Moi, je suis déjà de retour au sous-sol. J'essaie de ne pas penser à celles et ceux qui sont, ou ne sont pas venu(e)s regarder le nouveau spectacle ; j'essaie de ne pas guetter le son des applaudissments, de ne pas souffrir du silence ; j'essaie de ne pas me demander si je pourrai installer le prochain bouquin/numéro sur les mêmes planches, lever le même rideau, abuser du même éclairage. S'ils ne trouveront pas ça un peu trop répétitif, à la fin.

J'évite de me demander combien de temps ça durera. 

Je ne pense plus au livre – je ne peux plus rien y changer – alors, je m'échine à en préparer un autre.

En espérant produire encore quelques étincelles dans ces yeux bienveillants. Et histoire de me prouver que je n'ai pas dit mon dernier mot. Que j'ai encore de nouveaux tours à imaginer, des histoires à raconter.

Mar(c)tin



mercredi 9 janvier 2013

Ecrire/Traduire




Ecrire c'est exprimer en mots des souvenirs, des expériences, des émotions, des idées et leur donnant une forme – poésie, essai, fiction, chanson, scénario – qui restitue au plus près l'impression initiale que nous en avons eu, à l'intérieur de nous.

Ecrire, c'est coucher sur le papier quelque chose qu'on a sur le cœur ou dans la tête, pour le regarder au lieu d'en être habité et parfois rongé.

Ecrire, c'est faire passer de l'intérieur à l'extérieur ; autrement dit : opérer un déplacement – ou, comme on le dit en mécanique, ou à propos d'un véhicule : une translation. C'est un voyage dans lequel on se perd – et dans lequel on aimerait bien perdre celui ou celle qui va le recevoir. C'est trouver le mot juste pour soi et pour l'autre.

Ecrire c'est transcrire ses pensées en s'efforçant de ne pas se trahir. Et c'est difficile, et c'est facile : qui pourra dire si nous les avons modifiées, travesties, habillées ou maquillées entre le moment où elles ont éclos dans notre tête et celui où elles sont fixées sur la page ?

Ecrire, c'est organiser des mots qui n'existaient pas sous une forme qui sera conservée (les paroles s'envolent, les écrits restent, même si à l'heure de l'informatique et de l'internet, ça n'est plus vrai) et partagée.

Ecrire, c'est produire de la lecture ; c'est une activité de passeur. J'écris pour passer le mot. Et parfois, pour faire passer la pilule. J'écris pour transmettre - autrement dit, pour passer le relais au lecteur. 



D'un autre côté, traduire, c'est faire passer un texte initialement écrit dans une langue en une autre langue – en restituant au plus près la construction, les nuances, la forme du texte initial.

Traduire, c'est transformer un texte en un autre texte, pour donner accès à ceux qui ne pouvaient pas le lire dans son état premier. C'est une grande responsabilité : il ne s'agit pas de transcrire ses pensées mais celles de quelqu'un d'autre, et c'est furieusement difficile. Qu'il soit mort ou vivant, on ne peut pas facilement lui demander si c'est bien ceci, et non cela, qu'il a voulu dire. Et il n'est même pas sûr qu'on ait intérêt à le faire.

Traduire, c'est transcrire dans une langue ce que quelqu'un (le plus souvent quelqu'un d'autre, mais parfois aussi soi) a écrit dans une autre. Traduire, c'est faire passer d'un référent à un autre. C'est aussi une translation. 

Traduire, c'est se lancer dans un voyage au cours duquel on espère, si possible, ne rien perdre de ce qu'on a reçu. C'est transcrire des mots en s'efforçant de ne pas trahir leur auteur, et de ne pas tromper le lecteur qui les attend. C'est trouver le mot juste pour deux autres que soi.

Traduire, c'est reproduire un texte existant sous une forme qui n'en sera ni la réplique exacte, ni une vague imitation – afin de partager son sens et son essence, à défaut de ses sons. 

Traduire, c'est réécrire une lecture. Pour traduire avec plaisir (et mettre du plaisir dans ce qu'on écrit), il faut aimer ce qu'on lit. C'est aussi une activité de transmission, le passage d'un relais. Mais quand je traduis, je suis le relais. 

Et comment traduire sans se trahir, quand on est soi-même poète, ou écrivain ? 

Mar(c)tin 

mardi 1 janvier 2013

Ecriture 2013

Un mémoire de maîtrise sur l'utilisation des téléséries pour enseigner l'éthique
Un roman familial
Un roman de science-fiction pour les 12-14 ans
Un roman darwinien
Un ou deux essais sur le soin
Des articles sur un site santé
Des nouvelles
Une candidature à un poste d'écrivain en résidence (le second)
Un atelier d'écriture mensuelle
Un séminaire d'écriture pour étudiants en médecine
Quelques conférences à Montréal, Ottawa, Victoria, Québec
Une convention de SF (comme lecteur)
Un salon du livre (comme écrivant)
Quelques conférences par skype

Un raton-laveur ?

Il s'en fera bien quelques-uns.

Bonne année à vous toutes et vous tous, pleine de projets et d'écriture


Mar(c)tin