jeudi 13 octobre 2011

Les films de ma vie - par Clémentine (ex. n°19)


La télé m'a bouffé mon enfance parce que j'ai eu un rapport étrange avec elle. Nous n'en avions pas quand j'étais petite. Le problème quand on grandit sans la télé, c'est que son pouvoir sur vous est brut, incommensurable. Vous ne la dominez pas, elle vous maîtrise largement et vous pourrit l'être. Ou bien, ma sensibilité aux images qui bougent était peut être plus grande que la moyenne. Aujourd'hui encore, je ne maîtrise pas ce rapport avec le petit écran. Une télé dans mon champs de vision, je scotch. Fort.
J'allais rendre visite à ma grand mère juste pour le plaisir de regarder sa télé. Je connaissais l'abjection de mon acte, mais Mamie était quand même contente de me voir. Et puis je faisais un canard dans son café avec un sucre.

Voici venir le premier film de ma vie. Grace. Je ne sais pas si c'est le titre exact. C'était le prénom de l'héroïne. Grace. A mes oreilles, Grasse. Déjà, comment pouvait on s'appeler Grasse? Grace était grosse. Donc le personnage principal, une fille obèse est en quête de l'amour. Elle le rencontre à la patinoire. C'est un prince charmant. Ils vivent une relation, et finalement, elle le quitte.
C'était le premier vrai film que je voyais. En fait, un feuilleton pour ménagère, mais ça, je ne le savais pas. Je devais avoir 6 ans. Nous étions chez des amis de mes parents et ils nous avaient collé devant la télé. Mon bonheur était immense.
Je n'ai jamais vu la fin de ce film. Ma mère a brutalement interrompu mon rêve à cinq minutes de la fin. Il fallait rentrer. J'ai vertement protesté, j'ai peut être pleuré. J'ai souvent repensé à ce film que je n'avais jamais fini. Cette scène est resté gravé en moi. La grosse qui prend le train, le prince charmant qui lui court après. Ma mère qui coupe.
Ma vie de cinéphile a débutée avec un navet, et s'est construite sur un traumatisme.

De nombreuses années plus tard, je suis retombée sur ce film (M6 - mardi - 15h30). J'ai vu non pas l'histoire de Grace, mais le feuilleton pour ménagère. C'était bien la même histoire, les même noms, les même personnages, mais tout était différent. Non, une chose uniquement avait changé. Mon regard.
J'ai regardé jusqu'au bout, pour constater avec horreur que Maman avait coupé le film non pas à cinq minutes de la fin, mais à dix secondes. Le prince rattrape sa grosse, ils s'embrassent sur le quai. C'était tout.

J'ai donc grandi sans télé, et assez rapidement je me suis sentie encore plus bizarre que ce que je ne me sentais avant. Pas exclue, non. Exclue, je l'avais toujours été dès que j'avais franchi l'immense porte de l'école St Michel. 
Les enfants parlaient du film qu'ils avaient vu la veille. Qu'est ce que je n'aurais pas donné pour moi aussi voir ce film d'horreur, où du sang coulait du robinet, où des scènes se déroulaient dans les égouts, où un clown mangeait les enfants...
Quelques années plus tard, ma soeur s'est procuré le film. Une VHS enregistrée. Ce fut donc le deuxième film de ma vie. Le clown. Une adaptation d'un livre de Stephen King. Mon premier film d'horreur. Encore un feuilleton niais, mais les sensations étaient là. Ma soeur n'aurait jamais, au grand jamais, partagé une telle trouvaille avec moi. Mais quand le trésor vous épouvante, la petite Clémentine peut être bien utile pour vous rassurer. Et vous couvrir. Car nous regardions la télé en véritables pirates. C'était interdit. Elle était d'ailleurs installée dans le grenier. (Oui j'ai regardé mon premier film d'horreur dans un grenier. C'était normal chez moi). De là où nous étions, et avec le son du poste, nous n'entendions jamais Maman rentrer. Et l'échelle faisait un bruit épouvantable. Bref, on se faisait toujours attraper, gronder et punir de télé.
Nous avons donc regardé ce film toute les deux. J'ai vu avec horreur et plaisir le sang couler du robinet, les enfants fuir dans les égouts, le clown manger des petits bras avec ses grandes dents.
Cinq minutes avant la fin, nous avons entendu Maman rentrer. Nous ne nous sommes pas fait punir mais je n'ai jamais vu la fin. Le cycle maudit se répétait inexorablement
Quelques années plus tard, je suis retombée sur ce film. C'était de la merde.

J'ai eu une enfance de princesse. A 9 ans je me revois devant ma classe, expliquant que mon poney allait faire les championnats de France de saut d'obstacle. Bref, j'étais une fan de canassons. Tous les samedis après midi, j'allais au poney club sur ma petite monture, pour la leçon. 
La télé a mangé ma passion. Salement, comme on mange un Mac Do, et vite fait. Elle l'a roté -car la télé est grossière, elle n'a pas de manière, elle a eu mal au ventre, la digéré et je n'en ai jamais plus entendu parler. Je passais mes samedis après midi affalée sur le canapé du grenier, devant des émissions qui n'étaient pas pour moi, attendant avec impatience les pages de pub. Mon cerveau était d'une disponibilité optimale. Quand il y avait du soleil, la lumière me gênait. Mon adolescence fut un véritable gâchis.

Aujourd'hui, je n'ai pas la télé. Je n'en aurais plus jamais. Je ne fais plus de cheval. Ca fait mal aux fesses.

Plus tard, je suis devenue cinéphile. Je pense que j'avais des prédispositions. 
Dès que je suis rentrée au collège, j'ai fréquenté énormément le cinéma. Nous inaugurions le multiplex de douze salles géantes dans notre petite ville. Que du bonheur. C'était la compétition avec Contine, ma copine. C'était à celle qui allait voir le plus de films. Nous gardions tous les tickets, comme preuve. Contine les a toujours d'ailleurs. Mes parents étaient atterrés. Surtout Papa qui n'y comprenait rien. Il n'y comprends toujours rien. Sa dernière séance, c'était les Visiteurs.
Contine a choisi de faire médecine, moi j'ai choisi de faire une école de cinéma. C'était un mauvais choix, parce qu'aujourd'hui, je n'ai pas de travail. Mais Contine va être médecin et elle n'est pas heureuse, alors je n'ai pas de regret. L'école de cinéma m'a permis, entre autres, de regarder un max de films sans culpabiliser. 

Et voici le troisième film de ma vie. Antonio de las Mortes. Le symbole de ma grande époque. Je bouffais du DVD à longueur de journée, dans mon studio à Paris. Je rêvais de posséder tous les films que Le Monde édite dans des coffrets, vendus chez les marchands de journaux. Des vrais trucs d'intellos. 
Une après-midi donc, je prends mon coffret, je choisi Antonio de las Mortes. L'affiche n'est pas mauvaise et rappelle les westerns de Clint. Sur la jaquette, le commentaire était très excitant: "Antonio de las Mortes n'est autre que le cinéaste lui-même cherchant à détruire les conventions ésthétiques et morales produites par le monde qu'il combat." Je me prépare des tomates à la mozzarella, je baisse les stores, je m'installe confortablement sur mon canapé, et je lance la séance. Le pitch? Un guerrieros brésilien des années 50, monté sur un cheval blanc. Il fait quoi? Je ne sais plus, mais il a une copine qui est habillé en blanc et qui a une seule réplique, très spirituelle, que je n'ai pas comprise. Le méchant a une vraie  tête de méchant, et une écharpe fine et rose. Antonio est théâtral, il parle en vers. De longs monologues. Une chute sans queue ni tête après deux heures d'images. Le réalisateur? Un certain Glauber Rocha, assurément défoncé aux champignons magiques du Mexique. Antonio de las Mortes est un OVNI, une ineptie, une pustule sur le corps déjà imparfait de la Vénus du 7e art.
Mais j'étais ravie. Ravie de faire partie de la catégorie réduite de cérébraux qui ont vu Antonio de la Mortes. Vous l'avez vu? Vous avez aimé? Vous avez compris? Super. Ne m'envoyez pas de message privé merci.
Je n'ai malheureusement jamais eu l'occasion de sortir dans une conversation que j'avais vu ce chef d'oeuvre du cinéma indé brésilien d'avant garde qu'est Antonio de las Mortes. Ce film fut donc une perte de temps et marque l'extrême profondeur de ma période intellectuelle.