dimanche 2 octobre 2011

Le livre de mon enfance - par Danalyia (Ex. n°18)


… Tous les jours se ressemblent, sauf peut-être le dimanche, il  y a moins de monde, comme toujours, moins de bruit partout. Jamais aimé le dimanche, jour gris de mon enfance, magasins fermés, pas de passage dans la rue, rien à faire, juste tuer le temps, attendre que revienne le lundi. À l’école, j’étais très sage, le préféré de la maîtresse. Quelquefois, un minuscule cadeau ou un dessin pour elle et alors son sourire, sa main sur ma joue, son regard de douceur... Mieux que Maman, criant toujours, pleurant souvent, pas de sa faute, pauvre petite Maman quand Papa l’attrapait par le bras, la secouait, la giflait « tu vas m’obéir, oui, t’as compris maintenant, et ne recommence pas, sinon je te casse la tête ! » Après, Maman assise par terre et moi essayant de la consoler mais elle me repousse, « va-t-en, laisse-moi, j’ai pas besoin de toi »… Jamais à la maison le dimanche, Papa, et alors pas de bruit, maman au lit jusque dans l’après-midi, elle dort, ne pas la déranger et moi seul, marchant de la cuisine à la salle à manger à ma chambre, « Je m’ennuie, je m’ennuie, je m’ennuie ». Dimanche, jour le plus triste à cause de ça, du silence, personne pour me parler… Un jour, la maîtresse a demandé : « Racontez votre dimanche » et les autres : « mes parents m’ont emmené au zoo, voir les singes et les otaries » ou « j’ai joué toute la journée avec mes cousins, aux cow-boys et aux indiens » ou « mon père m’a emmené au cinéma, voir Davy Crockett, c’était bien »… tandis que moi : « le dimanche, on fait jamais rien, je m’ennuie à la maison parce que Maman dort et Papa n’est pas là »… La maîtresse m’a gardé après la classe : « C’est vrai, ce que tu as écrit dans ta rédaction ? » Oui, maîtresse, c’est toujours comme ça… J’ai vu ses yeux qui brillaient, elle a eu l’air un peu triste : « Demain, je t’apporterai un livre et comme ça tu ne t’ennuieras plus » et le lendemain, elle m’a prêté Le petit prince 

« Tu peux le garder aussi longtemps que tu veux et après, je t’en prêterai un autre ; tu verras, il y a de très beaux dessins, tu me diras lequel tu préfères, d’accord ? » Difficile d’en préférer un. J’ai réfléchi : pas le renard, en tout cas, il a les pattes trop courtes et les oreilles trop longues. La rose sous son globe, alors, avec ses épines « dérisoires », c’est là que j’ai appris ce mot. Ou plutôt les baobabs, parce qu’on voit les racines. Moi, mes arbres, ils étaient quand même bien sages, pas question qu’ils envahissent tout… Le premier que j’aie dessiné, c’était pour la maîtresse, pour la remercier du livre. Elle a dit : « C’est très beau, tu sais, tu dessines comme un grand » et elle avait l’air étonné, presque inquiet. « Je garde celui-là pour moi, mais tu en feras d’autres, pour accrocher dans la classe, tu veux bien ? » Elle m’a donné du papier blanc et des crayons de couleur. Je n’arrêtais plus de dessiner, des arbres, rien que des arbres avec les racines au-dessus de la terre, mais jamais personne à côté et jamais de feuilles non plus, solitude et silence… Mon père disait : « Ils sont sinistres comme la mort, tes dessins », mais ça m’était bien égal, parce que tout était pour ma maîtresse que j’aimais, tandis que lui, je l’aimais pas… La maîtresse nous a demandé d’apprendre par cœur le poème ou le texte qu’on préférait. J’ai choisi la conversation du petit prince et du renard : « Si tu veux un ami, apprivoise-moi » et puis « Il faut des rites » pour savoir à quelle heure « s’habiller le cœur ». Sur l’estrade, j’ai récité en me balançant, comme une mélodie qui monte et qui descend. « C’est très bien », elle a dit, tu peux te rasseoir, et sa voix était comme une caresse qui me faisait chaud dedans. Elle s’appelait Mademoiselle Gauthier et c’était ma première maîtresse, à l’école communale. Sûrement morte depuis longtemps… Elle a emporté toute sa douceur ; non, elle m’en a laissé un peu, je la sens quand je me rappelle et ça  fait du bien, comme quand elle me parlait… Après elle, plus personne à qui offrir des dessins, alors j’ai arrêté… Un jour, elle m’a dit : « Tu peux garder Le petit prince, je te le donne, ça te fera un souvenir pour plus tard, quand on ne se verra plus ». Et c’est vrai, chaque fois que je l’ouvre, je pense à elle et je lui souris…