mardi 12 octobre 2010

Parfois, on n'écrit pas... par Mar(c)tin

Parfois, on n'écrit pas.

              
Alors même qu'on est un écrivain "professionnel" - j'entends, quelqu'un qui fait ça tout le temps, pour gagner sa vie --- et attention, qu'on ne se méprenne pas, je pense que les écrivains qui écrivent sans publier ou vivre de leur plume sont des écrivains tout autant, et qu'ils sont capables d'écrire comme des pros, mais ce ne sont pas des écrivains professionnels, si vous voyez ce que je veux dire (et par professionnel, là, j'entends même un peu "mercenaire", mais c'est une autre histoire).


Donc, parfois, on n'écrit pas
Pendant un bon moment. Des jours, des semaines. 
C'est troublant de ne pas écrire quand on a passé la plus grande partie de sa vie à le faire empêché, ou à se battre pour pouvoir le faire librement. 
Bien sûr, il y a des tas de raisons pour lesquelles on peut ne pas écrire alors qu'en principe on gagne sa croûte avec ça.

D'abord (c'est le meilleur des cas) on peut ne pas écrire parce qu'on a gagné beaucoup d'argent, et on décide qu'on n'a pas besoin d'écrire en ce moment pour gagner sa croûte.
Pour ce qui me concerne, c'est une situation hypothétique. Même quand j'ai gagné beaucoup d'argent (juste après la publication de La Maladie de Sachs), j'ai écrit beaucoup. Le fait d'avoir gagné beaucoup d'argent m'a incité à écrire des livres que je n'aurais pas pu écrire auparavant, comme Contraceptions mode d'emploi, par exemple. Je me suis dit : "Si je ne les écris pas maintenant, il est bien possible que je ne puisse plus le faire plus tard, quand je devrai de nouveau écrire pour gagner ma vie."

Mais j'imagine que quelqu'un qui est fatigué d'écrire, qui est "vidé" d'avoir écrit beaucoup et qui n'a pas de souci matériel peut avoir envie de faire une pause, de partir en voyage, de s'occuper de ses enfants s'il/elle en a ou d'un(e) conjoint(e), ou d'un parent âgé, ou d'une association caritative, par exemple. Au fond, un écrivain qui décide de ne pas écrire pour se consacrer à d'autres activités, ça n'est pas différent d'un acteur qui, entre deux films, prend du temps pour faire autre chose.

Je me demande par exemple ce que fait J.K. Rowling depuis qu'elle a fini ses Harry Potter. Bon, elle a publié un autre livre (des contes, je crois) mais on ne peut pas dire qu'elle sature le paysage éditorial. J'ai lu il n'y a pas très longtemps qu'elle n'écartait pas (ou plus ?) la possibilité de faire revenir Harry dans d'autres livres. Et je dois dire que ça m'a fait plaisir. Pourquoi ? Parce que j'ai le sentiment que cette femme est un écrivain populaire pour la vie, et ça me faisait mal au coeur de penser que ses sept volumes avaient pu la lessiver complètement.

Et ça me réjouit de penser que si elle écrit un nouveau livre (ou un nouveau cycle ) ce ne sera pas parce qu'elle a besoin d'argent (elle en a gagné assez pour vivre dix vies) ni pour avoir plus de gloire (elle est tranquille de ce côté là aussi) mais parce qu'elle a envie d'écrire. Parce qu'elle a d'autres histoires à raconter. Et ça, ça fait vraiment chaud au coeur. 

Si ça n'est pas parce qu'on n'a pas besoin (financièrement) d'écrire, on peut ne pas écrire parce qu'on ne peut pas.  

Parce qu'on ne sait pas quoi écrire (ou par quel bout prendre ce qu'on a eu l'idée d'écrire). Parce qu'on doute de l'intérêt de ce qu'on imagine qu'on pourrait écrire. Parce qu'on a le sentiment qu'on est vide et creux (comme si on venait de terminer le Harry Potter 7...) Parce qu'on ne voit pas à quoi ça sert. Parce qu'on se demande à quoi sert quoi que ce soit. Parce qu'on n'a pas envie d'ajouter un énième livre aux dizaines de milliers de livres qui sont publiés chaque année, en France seulement... Parce qu'on ne pourra jamais faire aussi bien que les écrivains qu'on lit et qui nous font tant de bien quand on se contente modestement de lire, au lieu de prétendre se mesurer à eux.  Parce que de toute manière, tout ce qu'on écrira, bon ou mauvais, sera noyé dans la masse et touchera moins de lecteurs que les livres promus à grands renforts de passages à la télé et de panneaux dans les couloirs de métro. Et d'ailleurs, il faudrait d'abord qu'on le finisse, ce foutu... Ce foutu quoi, d'ailleurs ? Livre, essai, conte, recueil de nouvelles, modeste (cent vingt-cint pages seulement, mais dites moi, est-ce qu'on peut vraiment dire des choses intéressantes en si peu de pages) ou imposant (sept cents pages cette fois-ci, mais dites moi, peut-on avoir autant de choses à dire, vraiment, sans ennuyer le lecteur ?). Parce que de toute manière, ça ne sera jamais aussi beau, aussi profond, aussi réussi une fois sur le papier que ça voudrait l'être là, dans la tête...

On n'écrit pas, parce qu'on n'a pas la force. Parce qu'on est écrasé par la tâche. Parce qu'au lieu de mettre une pierre sur l'autre, on n'arrête pas de voir (enfin d'imaginer) le résultat fini, et justement ça n'est pas possible. On ne peut pas voir le résultat fini parce qu'écrire un livre, ça n'est pas comme construire une maison ou paysager un jardin. Il n'y a pas de dessin préparatoire qui te montre le produit fini à l'échelle, en long en large et en travers.

Écrire un livre, comme (j'imagine) écrire une symphonie ou faire un film, ça ne peut se planifier que très approximativement. Toutes les listes, tous les "déroulés", tous les plans – The best laid plans of mice and men – s'évanouissent à mesure qu'on écrit.

Tiens, moi qui vous parle, par exemple, j'ai des "notes préparatoires" à tous mes romans. Des dizaines de pages, rédigées à la main (sur des carnets moleskine, depuis que c'est redevenu à la mode, j'en ai acheté au moins une trentaine) ou dans des fichiers informatiques contenant des milliers de signes.

Seulement, de toutes ces notes, je n'ai le plus souvent gardé que des fragments, des bribes, et j'ai tout négligé - voire pas relu la moindre ligne, ou alors embrayé sur une phrase ou un chapitre et vogué comme ça librement.

Et donc, préparer le grand-roman-du-grand-tout-qui-va-révolutionner-la-littérature-d'aujourd'hui-et-de-demain-que-même-Michel-Houellebecq-il-en-reviendra-pas, ça ne se fait pas comme ça, simplement, à coups de notes, même si les notes en question prennent des pages ou des dizaines de feuillets virtuels.
Alors, on n'écrit pas, on note. On tourne autour du pot. On réfléchit. On lit. Des livres ou des articles qui n'ont pas trop de relation avec ce qu'on veut écrire. Ou qui en ont, mais qui vous donnent la sensation que ça vous fait avancer dans la pensée du livre-à-écrire. Qui n'en finit pas de s'échapper et de se faire désirer, ce salaud.
Et parfois on regarde des films ou des séries télé ou des documentaires animaliers ou des émissions scientifiques ou des dessins animés, ou n'importe quoi
Et puis parfois, quand on en a marre de tourner autour du pot et de lire les autres et de regarder les histoires des autres et de ne pas écrire, de ne rien écrire, de ne rien arriver à écrire, ni le roman-du-grand-tout ni autre chose,
parfois, on en a marre et on s'énerve et on se dit que c'est pas parce qu'on ne va pas bien qu'il faut rester seul dans son coin, y'a pas de raison de pas en faire profiter (ou de pas enquiquiner) les autres avec ça.
Alors, on s'assied à son clavier et on se met à écrire que parfois on n'écrit pas. Pas pour gagner de l'argent, ni même pour accroître sa renommée. Mais juste comme ça.
Pour la rage et le plaisir.
D'écrire.