samedi 10 juillet 2010

Feuilleton d'été (5) - par Martin Winckler


Présentation



Bonsoir à toutes et à tous, je suis très heureux de vous accueillir ce soir à la Médiathèque de Tourmens pour cette soirée dans le cadre de nos rencontres littéraires mensuelles. Je n’ai pas besoin de vous le présenter notre invité, que je remercie vivement d’être avec nous ce soir, on ne le présente plus, vous connaissez tous... 

Et toi, tu ne peux pas t’empêcher de penser : « Non, ils ne me connaissent pas tous. Et puis connaît-on jamais vraiment, même si on en a entendu parler - même si on les a entendus parler - sait-on jamais qui sont vraiment les gens soi-disant célèbres qu’on ne présente plus et que, donc, on ne présente pas ? La moindre des choses ne serait-elle pas qu’ils se présentent eux-mêmes ? » et tu voudrais pouvoir résumer ta vie en quelques secondes en commençant par le commencement puisque pour tout le monde c’est quand même comme ça que ça démarre, et pour toi pas moins que pour un autre et peut-être encore plus (Je suis né en 1955. Je suis né et j’ai grandi dans la maison d’un médecin et j’ai toujours voulu faire le même métier que mon papa. Je lis depuis que je suis tout petit et j’ai toujours aimé les histoires. J’écris depuis l’âge de dix ou douze ans et j’ai toujours voulu être un écrivain américain. Aujourd’hui, je suis père de famille nombreuse, j’exerce la médecine sous mon patronyme, je publie (surtout en français, un peu en anglais) sous le pseudonyme de Martin Winckler. Je suis né à Alger, en 1961 ma famille a quitté l’Algérie pour aller s’installer - en vain - en Israël et finir par retourner en France et se fixer à Pithiviers (Loiret) en 1963 où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. En 1972, après mon bac, je suis allé passer un an chez une famille américaine à Bloomington (Minnesota) et j’ai appris là presque tout ce qui me permet aujourd’hui d’exercer mes métiers d’écrivain, de médecin et de traducteur - taper à la machine, parler et lire l’anglais, constituer une documentation - et bien d’autres choses encore. Pendant les dix années qui ont suivi, j’ai fait des études de médecine à Tours (Indre-et-Loire). En 1983, j’ai créé un cabinet de médecine générale à Joué-L’Abbé (Sarthe). La même année, je suis devenu rédacteur à Prescrire, jeune revue médicale indépendante installée à Paris (75). L’année suivante, on m’a confié deux vacations - au centre de planification et dans le service d’IVG - au Centre Hospitalier du Mans, où je n’ai jamais cessé d’exercer depuis.

Au cours des années 80, j’ai publié de nombreux articles médicaux et quelques nouvelles ; j’ai rédigé le premier jet d’un premier roman, La Vacation, avec une IBM à boule et fini le second jet de ce même roman avec un ordinateur. J’ai envoyé mon tapuscrit à cinq éditeurs. Paul Otchakovsky-Laurens m’a appelé pour m’annoncer qu’il voulait le publier dans sa maison, P.O.L, en 1989. Je me suis mis à traduire, de l’anglais au français, de la littérature, des revues et des livres de médecine, des romans policiers ou de science-fiction, des comic-books. J’ai gagné ma vie en traduisant autant qu’en exerçant la médecine générale.

Entre 1991 et 1994, j’ai déménagé, j’ai divorcé et je me suis remarié. Lassé de prendre des gardes de nuit ou de week-end dans un rayon de trente kilomètres et de travailler avec un médecin avec qui je ne m’entendais pas, j’ai eu envie de souffler un peu. En 1993, j’ai cédé la place à Joué l’Abbé à un jeune praticien. J’ai poursuivi mon activité de médecin vacataire à l’hôpital du Mans et gagné ma vie penché sur un clavier et un écran. Entre deux articles, traductions et autres tâches d’écriture mercenaire, je rédigeais, sans attente ni espoir particulier, chapitre après chapitre, un troisième roman intitulé La Relation dans lequel je m’efforçais raconter (de relater) la vie quotidienne d’un médecin généraliste et les liens (les relations) qu’entretenaient entre eux et avec lui les patients qui venaient le consulter.

Début 1997, quelques jours après avoir reçu le manuscrit, Paul m’a appelé pour me dire que c’était le roman qu’il attendait de moi . (Ces mots m’ont marqué parce qu’il évite le plus souvent toute emphase : lorsqu’il aime beaucoup un livre, il le qualifie de « très bon » s’il il a été publié par un autre éditeur, et de « sensationnel » quand c’est lui qui l’a publié). Un autre écrivain venait de publier un roman intitulé La relation. Après quelques tâtonnements, j’ai rebaptisé le mien La Maladie de Sachs et, après moult relectures et corrections, le texte est parti chez l’imprimeur à l’automne. Fin décembre 1997, j’ai reçu le premier exemplaire. En feuilletant les 500 pages imprimées en petit caractère, j’ai poussé un grand soupir. J’étais heureux de publier un second livre chez P.O.L neuf ans après La Vacation, mais ce roman-ci était, à mes yeux, sombre et déprimant. En le posant sur la table, j’ai dit : Personne ne va lire ça.

Six mois plus tard, en mai 1998, un jury de 24 lecteurs et auditeurs de France Inter faisait de La Maladie de Sachs « leur » Livre Inter. Le roman écrit en cinq ans est devenu en quelques semaines un succès de librairie - ce qu’on appelle communément un best-seller) ton parcours en quelques phrases, mais si tu as appris à maîtriser les formes courtes quand il s’agit de langage écrit, tu es incapable de synthétiser ta pensée en quelques phrases et si jamais on te donnait le temps, tu mettrais un petit moment pour tout raconter, tant tu serais hésitant à choisir les éléments importants et ceux qui ne le sont pas alors tu passes d’un extrême à l’autre et tu dis :

« Bonjour.
Mon nom est Marc Zaffran. Je suis médecin généraliste, j’écris des romans et des essais sous le pseudonyme de Martin Winckler et mon livre le plus connu s’intitule La Maladie de Sachs. »

Et pendant que, dans l’auditoire, plusieurs personnes hochent la tête tu murmures de manière presque inaudible : « Et c’est de sa faute si je suis là. »