samedi 3 avril 2010

Partir, revenir (exercice n°12), 2 - par Balise



Prendre plus de temps pour moi. (Et lâcher prise, comme je l'ai fait pendant ces dix jours – depuis combien de temps n'avais-je pas pris de vraies vacances ?)

Faire plus de choses qui me plaisent, moins de celles qui m'emmerdent. (Et lire, écrire davantage pour moi, refuser les jobs alimentaires)

Écrire ce bouquin de cuisine, en parlant d'alimentaire. (Et arriver à en faire quelque chose qui me plaît. Et le publier, et devenir riche)

Rêver à des trucs impossibles. (Et pas seulement avant le petit-déjeuner. Et réaliser quelques trucs impossibles, aussi)

Savoir ce qui me plaît. (Et apprendre à temporiser les enthousiasmes délirants inhérents aux nouveaux projets)

Étudier les sujets qui me tiennent à cœur. (Et d'ailleurs j'ai trois bouquins de photo à éplucher à la maison – j'aurais dû les emmener pour l'avion)

Apprendre à dire non. (Et apprendre à ne pas dire oui tout de suite, et à changer d'avis, et à accepter de changer d'avis)

Oser avoir un avis. (Et ne pas se sentir en porte-à-faux lorsqu'il diffère de celui de la personne en face)

M'exprimer au lieu de me contenter d'écouter. (Et arrêter de penser que je n'ai rien d'intéressant à dire)

Évaluer mes relations. (Et supprimer celles qui me font mal, renforcer celles qui me rendent plus forte)

Accepter l'acceptable, même s'il n'est pas optimal. (Et ne pas chercher à optimiser ce qui fonctionne déjà correctement)

Donner le meilleur de moi-même, mais connaître mes limites, et accepter l'aide que je peux recevoir.

Le temps d'écrire (Ficelles et chapeaux-claque, 3)


 Comment préserver le temps d'écrire... ?  (Gilda)

Ca c'est la question à 1000 $, à laquelle il n'y a pas de réponse générale.

Le temps, je crois, c'est une question personnelle, et le temps d'écrire n'est jamais qu'une extension de la relation personnelle au temps. Du moins, dans mon expérience.

J'ai traversé plusieurs périodes d'écriture, évidemment : adolescent, j'écrivais pour faire face à... je ne sais pas quoi. À l'adolescence, sans doute. C'est une période assez dure pour qu'on ait besoin d'un soutien. Stylos et cahiers me soutenaient. Je passais plus de temps à écrire qu'à apprendre mes leçons (J'avais une mémoire qui m'a permis de me passer de réviser jusqu'en classe de première. Après, j'ai eu du mal...).

Etudiant en médecine, j'écrivais pour faire face à la solitude, à la frustration, à la colère et je le faisais la nuit, le week-end, en me disant qu'il faudrait que je bosse... Quand je suis arrivé à l'hôpital, je n'ai pas moins écrit, au contraire, j'ai acheté de nouveaux cahiers, cartonnés, et je les ai trimbalés avec moi pour pouvoir écrire à tout moment. Quelque chose me dit qu'un Ipad ne peut pas rendre tout à fait les mêmes services, mais je me trompe peut être. Si quelqu'un tient un journal sur un Palm pilot ou apparenté, qu'il le clame ici haut et fort, je pense que c'est important.

Médecin installé, j'ai attendu le patient (j'avais créé un cabinet médical à partir de rien) et j'ai donc beaucoup lu et beaucoup écrit pendant les heures d'attente. Ma salle d'attente à moi, c'était mon bureau...

Lorsque j'ai quitté mon cabinet et que mon activité de médecin s'est restreinte à deux consultations par semaine, j'ai eu beaucoup plus de temps pour écrire mais je n'étais pas encore un écrivain qui vivait de sa plume, alors je traduisais, j'écrivais des textes techniques ou des articles, et la littérature passait en second.

La maladie de Sachs a été écrit chapitre par chapitre, parfois à des semaines d'intervalles, pendant cinq ans. Il y a eu des tas de moments de découragement, et puis d'autres où je devais tout relire pour me rappeler ce qu'il y avait dans ce foutu bouquin.

Depuis onze ans, je suis un écrivain « professionnel » et j'écris (à peu près) ce que je veux (à peu près) quand je veux. La question du temps d'écrire ne se pose plus vraiment : je n'écris pas par plaisir EN PLUS (ou à la place) de mon travail : quand j'écris, c'est du travail et du plaisir en même temps.
Donc je peux dire que j'ai toujours eu du temps pour écrire : je l'ai pris quand il se présentait parce que justement, écrire (comme lire) a toujours été une manière d'employer mon temps de solitude pour comprendre ce qui s'était passé pendant mes temps de confrontation avec le monde.

Bien sûr, ça n'a pas toujours été apprécié autour de moi. Le temps qu'on passe à écrire au lieu de le passer en famille est bien sûr perdu pour la famille. Ça a été possible parce que j'ai choisi de travailler à la maison (en étant traducteur, d'abord) et que je pouvais toujours laisser tomber ce que je faisais pour aller m'occuper des enfants qui en avaient besoin, mais je n'aurais pas pu le faire si je n'avais pas vécu avec une femme qui gère très bien tout le matériel et s'occupe du confort de tout le monde. Le fait que je sois un homme n'est donc pas anodin.

Cela étant, Marie Darrieussecq est une femme, elle a des enfants, ça ne l'empêche pas d'écrire. Ce n'est pas le genre en soi qui « aide » c'est aussi les conditions dans lesquelles on vit et on s'entend avec son compagnon/sa compagne, et l'acceptation de l'activité d'écrivain (ou de peintre, ou de musicien, etc.) par l'autre. Mon activité d'écrivain ayant un caractère professionnel (depuis 1983, je gagne ma vie en partie grâce à l'écriture – journalisme, puis traduction, puis littérature et essais), je n'ai jamais été accusé par MPJ (ma compagne) de « perdre du temps à écrire » ; elle m'a toujours soutenu et encouragé, en sachant aussi que pour moi, écrire n'est pas une manière de me couper du monde : on peut me faire sortir de l'écriture et si j'écris, c'est aussi pour ma famille.

Une chose amusante, et qui n'est pas sans importance : j'ai passé beaucoup de temps à écrire-en-apprenant-à-maîtriser-un-outil-d'écriture. Je veux dire que l'acquisition d'un nouvel appareil (une machine à écrire mécanique, une électrique, un premier PC, tous les PC qui ont suivi et, début 2009, mon premier Mac et peut-être pas le dernier) ou l'abord d'une nouvelle forme d'écriture s'est toujours accompagnée d'une production littéraire. Quand j'ai appris à taper à la machine, en 1972, dans ma High-school américaine, j'en ai profité pour écrire trois nouvelles (la première, en classe !). Quand j'ai acheté ma première machine mécanique, j'ai écrit ce qui allait devenir ma première nouvelle publiée (Spectacle permanent). Quand j'ai acheté mon premier PC, j'ai repris le « tapuscrit » de la première version de La Vacation, et je l'ai transformé à mesure que j'apprenais à me servir de Word et que je maîtrisais l'ergonomie de l'ordinateur. Quand je me suis retrouvé face au Mac dans le bureau au CREUM, j'ai d'abord dit « Je ne sais pas si je vais savoir me servir de ça... » et puis... j'ai écrit Le Choeur des femmes.

De même, toutes les formes que je crois savoir maîtriser (la traduction, l'écriture d'articles scientifiques ou critiques, le roman, les formes hypercourtes de la presse et, plus récemment, des textes analytiques... en anglais) sont associées, dans mon esprit, à une suite d'expérimentations, d'essais et d'erreurs.

Comme si, pour moi, écrire passait constamment par l'apprentissage.

De tout cela, il ressort que je ne « préserve  pas » le temps d'écrire. J'écris. Je me suis efforcé, depuis que je me suis mis à écrire, d'intégrer l'écriture à ma vie, de manière aussi professionnelle que possible. Quand j'étais médecin généraliste à temps plein et que j'écrivais « dans les interstices », Daniel Zimmermann, qui était mon « parrain en écriture » avec Claude Pujade-Renaud (ils ont publié mes premiers textes de fiction) me disait « Un écrivain, ça écrit dix heures par jour ! » Je répondais que je n'avais pas le temps (je bossais !). Il a insisté en disant que je ne serais pas écrivain si j'écrivais seulement « en plus ». Et je crois qu'il avait raison. La difficulté ne réside pas dans le fait de « trouver du temps » pour écrire, mais de sauter le pas et de recentrer, peu à peu, sa vie sur l'écriture. C'est un engagement, un risque, un choix. Mais il n'est pas différent du choix de devenir mère, ou alpiniste ou soignant(e). C'est un choix de vie.


(Merci à Jennie G. d'avoir accompagné en ligne l'écriture de ce texte)