dimanche 31 octobre 2010

Perrette et le livre - par Loraine Cardamone (Brève Rencontre + 1 Livre)


Il y a des instants, parfois des jours, où la sensation de bonheur est si forte que quel que soit le lieu et l’heure, on se sent conquérant de l’infini.
C’était un jour comme ça, j’avais 20 ans et je portais une robe rouge, longue et légère. Aimée et désirée, j’avais l’éclat étrange qu’on prête aux déesses.
Et je me promenais, ravie de tout, enchantée d’un rien. A Paris, je m’en souviens.

Le regard des hommes me frôlait, brillant. Cela m’amusait sans me troubler. Tout semblait si aisé, si beau, si normal. A une terrasse, le garçon de café, parfaitement dans son rôle, se pencha sur moi, flatteur ; au bas d’un escalator, un homme fit demi-tour pendant que je descendais, et m’ouvrit les bras dans un geste presque d’impuissance
- Je vous attendais !

Je ne fus même pas étonnée. Je me contentais de cette extravagance. Un inconnu m’avait attendu, moi, parce que j’étais merveilleuse. Malgré cela, mon jeune âge, et quelques doutes firent que je ne le suivis pas. A une dizaine d’année de là, je souris, en pensant aux possibles qui m’avaient échappés.

A la Fnac des halles, cette immense grotte qui engloutit les provinciales en quête de livres, je choisis quelques lectures. Cette journée me donnait envie de m’alanguir, de paresseusement grignoter des mots. Je pris de la science-fiction, des romans classiques, et une couverture avec une femme nue, dorée, enchainée, au regard magnifique. Je n’ai jamais choisi les livres autrement qu’en fonction du titre ou de la couverture. Gourmande plus que gourmée.

Avec mon sachet, je me voyais rejouer Perrette et le pot au lait, le balançant gaiement, sure de mon effet, me moquant gentiment de moi-même mais happant de mon sourire ceux des autres qui croisaient mon regard malicieux.

Je m’assis devant une église, en haut de marches. Je ne sais plus laquelle, et puis quelle importance ! Ce que je savais, c’est qu’il y faisait calme et frais, qu’il y avait d’autres comme moi, occupés à lire sous le soleil de printemps. Sans choisir, je tirai au hasard dans le sac pieusement déposé à mes pieds. Je regardai ceux de mes voisins qui non accaparés m’avaient remarquée.

Et je plongeai.

C’était la première fois, que je lisais un tel livre. Troublant, érotique, il passa sur moi, bien inexpérimentée encore, comme un souffle haletant. Je perdis complètement contact avec la réalité, vulnérable aux émotions qui me traversaient. J’eus l’impression de flotter, ressentant les contours de mon corps avec une étrange acuité. Je dus rougir, j’avais chaud, ma respiration suivait le rythme de mes pulsions, je palpitais doucement, soulevée de vagues vibrantes. J’allai jusqu’au bout, avec avidité.

Une nostalgie tendre et joyeuse m’habita dès que les derniers mots moururent. Jamais plus je ne connaîtrais cette sensation, cette première fois. Je restai un peu penchée, attendant d’être prête à me détacher en douceur.

Quand enfin je relevai mon regard, éblouie par le soleil, les yeux encore troubles, je fus happée par celui d’un garçon de mon âge, en contrebas de moi sur les marches, qui me fixait, rouge lui aussi. L’instant suspendu dura dans cet échange muet. Il savait certainement d’où je venais, et je savais qu’il s’était plu à m’observer. Par timidité, je baissai les yeux, comme on fait en amour quand on en a trop dit.

Le souvenir de cette rencontre si douce me caresse encore.

Loraine Cardamone

mardi 26 octobre 2010

Comment j'ai gagné ma vie (en/d') écrivant, 1






Chaque année (le plus souvent à l'automne, au moment des prix littéraires), un périodique publie un article saisonnier (on appelle ça « un marronnier », en jargon de presse) sur « ce que gagnent les écrivains ». Cette année, c'est Hubert Artus, le chroniqueur/critique de Rue89 qui a mené l'enquête sur le sujet avec un co-auteur, David Servenay.

Après avoir lu l'article, je me suis demandé si je vous avais déjà parlé d'argent.
Il faut que je vous l'avoue, il m'arrive d'oublier ce que j'ai déjà écrit sur ce blog, et je suis obligé de vérifier, sinon, j'aurais une fâcheuse tendance à me répéter. Alors, je suis allé taper « argent » dans la zone de recherche et... aucun article n'est sorti. J'ai tapé « droits d'auteur » et un seul article est sorti, mais le terme est utilisé dans un commentaire, pas dans mon texte. Etonné, j'ai vérifié que l'outil de recherche fonctionnait en tapant « sexe » (qui n'est sorti que trois fois, ce qui me surprend un peu vu la fréquence à laquelle j'y pense, mais bon...) et en tapant « Marc », qui est sorti tout plein de fois, et « Tourmens », pareil. Une fois assuré que l'outil de recherche fonctionnait, j'ai compris que ce serait la première fois que je parle d'argent sur ce blog. (Et je me suis promis de parler de sexe de nouveau, et plus souvent !!!)

J'ai commencé à écrire un long texte critiquant point par point ce que l'article de Rue89 raconte, tant je trouvais les déclarations de ses auteurs superficielles, tandencieuses et irritantes. Au bout de plusieurs feuillets, je me suis rendu compte qu'en essayant de rectifier un après l'autre les propos tenus, je me noyais dans un verre d'eau.

J'ai donc jeté ma première réaction, je suis allé me coucher (la nuit porte conseil) et le lendemain (on était samedi) j'ai essayé une autre approche. J'ai bossé dessus pendant deux jours. Et je me suis rendu compte, une nouvelle fois, que ça n'allait pas. Après avoir repris une dizaine de fois un long texte qui continuait à être insatisfaisant, je me suis dit que j'y essayais beaucoup trop de réfuter l'article à la lumière de mon expérience. Alors que, tout compte fait, je n'avais rien à réfuter ni à comparer. Ce que je pouvais faire de plus constructif, au fond, c'est raconter.
Mon article (en plusieurs épisodes) commence ci-après. 
Je le dédie à tous les écrivants.
*********
"Comment j'ai gagné ma vie (en/d') écrivant"
Une autobiographie littéraire et vénale
par Marc Zaffran (Martin Winckler)

Chapitre Un
Prescrire (1983-1989) et La Vacation (1989)


J'écrivais depuis la fin de l'enfance, et j'ai beaucoup écrit pendant mon adolescence et en entrant dans l'âge adulte, mais je n'ai commencé à publier et, simultanément, à gagner de l'argent avec ma plume (enfin, avec mes dix doigts...) qu'en 1983. J'avais terminé mes études de médecine et soutenu ma thèse à la fin 1982. Je venais de m'installer dans un village de la Sarthe, où j'avais créé un cabinet médical, et j'attendais les patients. J'étais abonné à une revue de médecine militante, Pratiques, et j'y ai lu mention de la revue Prescrire. À un courrier demandant de quoi il s'agissait, quelqu'un m'a envoyé un... bulletin d'abonnement. Je me suis abonné. C'était une revue consacrée au médicament, très engagée, très critique avec l'industrie. Les textes étaient courts, abordaient des sujets surprenants dont on ne m'avait jamais parlé en fac, et parfois, les rédacteurs (médecins et pharmaciens) racontaient des histoires personnelles.

La revue existait depuis trois ans. Elle était manifestement artisanale dans sa conception. J'ai écrit pour demander si je pouvais assister au comité de rédaction. On m'a répondu qu'il avait lieu tous les jeudis. Ça tombait bien. Je tenais à avoir un jour de repos au cabinet médical et j'avais choisi le jeudi. Je suis allé à Prescrire, à Paris, à la première occasion. Le premier jour, les membres de la rédaction - et en particulier un triumvirat de généralistes qui avaient contribué à la fonder - m'ont accueilli comme si j'avais toujours fait partie de l'équipe. À la fin de l'après-midi, le rédacteur en chef, généraliste défroqué, demande qui veut faire des notes de lecture à partir des articles que le comité de rédaction a retenus. Je lève la main. Il demande « Tu lis l'anglais ? » Je réponds que oui (il l'avait déjà compris aux remarques faites pendant la réunion) et il m'attribue deux textes d'une revue anglaise en ajoutant : « Tu nous les envoies quand tu as fini, prends ton temps. » Le jeudi suivant, je lui apporte les deux textes. Il hausse un sourcil. Il me demande si j'ai l'habitude d'écrire. Je souris. Il me demande si je veux en faire d'autres. Je réponds que oui. Combien ? Je réponds : « Donne, et dis-moi quand tu les veux. » Il m'en confie une demi-douzaine. Le jeudi suivant, je les lui apporte.

Prescrire était une revue militante et ses membres avaient à l'époque une conception très égalitaire et démocratique. Tout travail écrit et publié était rémunéré. Très vite, je me suis mis à arrondir les fins de mois-pas-très-peuplés de mon cabinet médical. Le comité de rédaction était très fourni, mais peu de gens écrivaient, et le rédac'chef, que j'ai plus tard surnommé Phil Barbelé (« une main de fer dans un gant de crin »...) alternait encouragements envers ceux qui rédigeaient en suivant ses instructions et critiques à l'égard de ceux qui n'écrivaient pas « dans la ligne ». 

C'était un bourreau de travail. Son style était déplorable, mais il savait structurer un texte et sa pensée comme personne et avait exercé la médecine générale pendant de nombreuses années. J'étais un débutant dans les deux domaines, j'étais malléable, je voulais tout apprendre, je voulais écrire des articles courts et des articles longs. J'avais soif de réécrire la médecine avec l'équipe de la revue. Barbelé a tout de suite vu quel parti il pourrait tirer de ma fringale. Il m'a pris sous son aile, il m'a formé, beaucoup appris et beaucoup gratifié. Je n'avais pas d'ambition de pouvoir. Je trouvais sa direction un peu dogmatique et totalitaire sur les bords (c'était un ancien Mao de 68), mais je m'en accommodais. Quand il donnait le cap, je mettais pleines voiles et je n'avais pas à m'en plaindre. J'étais un bon petit soldat. Au bout de trois ans, sans que je l'aie vu venir, il m'a bombardé rédac'chef adjoint. 

Même si mon activité médicale augmentait, je gagnais mieux ma vie en écrivant qu'en voyant des patients. Mais j'ai mené les deux activités en parallèle, ainsi que deux vacations hebdomadaires à l'hôpital du Mans, au service d'IVG. Prescrire m'occupait beaucoup pendant mes temps libres (le jeudi, mais aussi le soir, le week-end et entre deux patients). J'apprenais à critiquer les discours antiscientifiques, j'apprenais une méthode de penser, je rencontrais des gens formidables et je gagnais ma vie en écrivant.

Je n'écrivais pas seulement des articles scientifiques (des notes de lectures, des synthèses, des questions-réponses) ; je faisais aussi des traductions, j'écrivais des textes personnels sur ma pratique de médecin généraliste et je racontais des histoires qui étaient arrivées à Ange, mon père, médecin lui aussi. Ange était mort quelques semaines après mon installation, mais tous les mois, j'envoyais le numéro à ma mère, Nelly. Et j'étais drôlement fier de savoir qu'elle lisait des textes qui lui parlaient de son mari, qu'elle pouvait voir mon nom dans l'Ours, et que je pouvais lui faire des cadeaux avec l'argent que je gagnais à la revue. De temps en temps, au téléphone, elle me demandait : « Bon, mais rassure-moi, tu fais quand même de la médecine, mon fils ? » Et je la rassurais en lui lisant les lettres des généralistes qui me remerciaient de réhabiliter notre métier en racontant ma pratique.

Un soir, Barbelé m'a invité à dîner en tête à tête et m'a annoncé qu'il avait de grands projets. Pour les réaliser, il voulait prendre du champ, lever le pied, regarder les choses de plus loin en devenant directeur de la publication, et il avait décidé, d'ici un an ou deux de me confier... Je ne l'ai pas laissé finir et j'ai dit « Si tu veux que je devienne rédacteur en chef, ma réponse est Non. » Il a ouvert de grands yeux, et m'a fait répéter. J'ai répété. Il m'a demandé « Pourquoi ? » J'ai répondu que j'appréciais sa confiance, mais que je n'étais pas un meneur d'hommes – ce qu'il était, lui – et que je ne voulais pas passer mon temps à faire écrire les autres. Et que moi aussi, j'avais d'autres projets.

Depuis le début des années 80, j'écrivais un (gros) roman, inspiré non seulement par le choc éprouvé à ma lecture de La vie mode d'emploi de Georges Perec, puis à sa disparition. (Sa disparition physique, survenue en 1982 et non sa Disparition, le roman qu'il avait écrit sans jamais employer la lettre « e »). Mon roman perecquien n'avançait pas vite, mais je ne désespérais pas de le terminer un jour. Peut-être même, au moment où nous avons eu cette conversation, mon rédac'chef et moi, avais-je déjà commencé un deuxième roman, inspiré par mon travail au centre d'IVG. Toujours est-il que je ne me voyais pas finir ma carrière à Prescrire et je le lui ai dit avec beaucoup de candeur.

Il l'a mal pris. Ça foutait en l'air ses plans à cinq ans : il comptait faire de moi, non son dauphin (un Grand Timonier n'a pas de dauphin), mais la marionnette dont il pourrait tirer les ficelles en se consacrant à des tâches plus élevées. Sa devise favorite pour suggérer qu'il n'avait pas de scrupule à utiliser les talents qui se présentaient (et seulement selon ses termes) était « Je fais feu de tout bois. » Malheureusement pour lui, le petit soldat était ignifugé. Il a eu l'air extrêmement contrarié de s'être ainsi trompé à mon sujet.

À partir de là, ses appréciations et nos relations se sont dégradées. Comme je bossais beaucoup et continuais à me plier peu ou prou à ses exigences paranoïaques et à sa personnalité difficile, il n'a pas pu se débarrasser de moi brutalement comme il l'avait fait, sous mes yeux, au fil des années, en virant comme des malpropres bon nombre d'autres collaborateurs de la revue, parmi lesquels trois de ses principaux fondateurs. Mais, peu à peu il m'a retiré les responsabilités qu'il avait empilées sur mes épaules pour les confier à d'autres. En déclarant d'abord que j'avais trop de travail pour bien le faire, puis qu'il fallait injecter du sang neuf, puis que je devais me consacrer aux pages que je connaissais le mieux : la zone d'expression libre de la revue, qui était aussi sa seule section non scientifique – et la seule qui ne lui paraissait pas digne de son intérêt. Il a fini par me la retirer aussi, en la faisant purement et simplement disparaître, et en la remplaçant par un "forum professionnel" dont toute contribution personnelle et sensible sur l'exercice de la médecine fut désormais bannie.

Sans doute pour lutter contre la frustration d'être ainsi dénigré à petit feu (après avoir été, pendant cinq ans, l'un des rédacteurs les mieux identifiés par les lecteurs de la revue), mais aussi parce que j'en avais marre de presc'écrire, je me suis mis à passer beaucoup de temps sur mes fictions. On était en 1987. La revue se débarrassait de plusieurs IBM à boule (la meilleure machine à écrire de tous les temps) et j'en ai récupéré une. C'est avec elle que j'ai écrit puis modifié ma première nouvelle (publiée dans le n°18 de Nouvelles Nouvelles), et terminé la première version de mon premier long texte. Quand je l'ai relu, je n'étais pas satisfait. Ce n'était pas un roman. Ça n'en avait ni la forme, ni la teneur, ni la cohérence. J'étais désespéré.

Les ordinateurs personnels commençaient à se faire plus nombreux. La secrétaire de rédaction de Prescrire avait un « PC-AT » (terme de l'époque) à l'utilisation duquel je m'étais initié après les heures de bureau. Je continuais à gagner ma vie correctement (grâce à mon cabinet médical, moins grâce à la revue...). J'ai investi dans un Olivetti muni (grand luxe !) de deux lecteurs de floppy disks. Mon frère m'a envoyé une copie de Word 3, qu'il utilisait à son boulot (les logiciels n'étaient pas protégés, à l'époque). Je mettais la disquette programme dans le lecteur de gauche, la disquette document dans celui de droite et, comme il y avait souvent des coupures de courant dans le coin de campagne où j'habitais, je sauvegardais mon travail toutes les cinq minutes pour ne pas risquer de perdre brusquement des heures d'écriture.

J'ai mis un an à terminer la deuxième version du texte. Cette fois-ci, c'était un roman. J'ai raconté ailleurs (« Pourquoi je publie chez P.O.L ») comment c'est devenu mon premier livre, La Vacation. Après sa publication en mars 1989 et les quelques bons papiers qui l'ont accompagnée, j'ai eu le net sentiment que le Grand Timonier était irrité lorsque les membres de la rédaction parlaient de mon livre en sa présence. Un jour, alors qu'il interrompait l'un d'eux pour « rectifier » le commentaire que celui-ci venait de faire à ce sujet, je lui ai demandé : «Tu l'as lu ? » Barbelé a répondu, sur un ton très sûr : « Non, mais je le connais par coeur ! » J'ai pris ça pour de l'auto-dérision et j'ai éclaté de rire. Ça ne lui a pas plu. J'ai soudain pris conscience que moi aussi, je m'étais fourvoyé. 

Je ne faisais plus que des bricoles à Prescrire. Au début de l'été, j'ai découvert qu'une de mes notes de lectures avait été modifiée sans mon accord, et affichait des conclusions scientifiques inverses de ce que disait l'article britannique originel. Je l'ai signalé à Barbelé qui m'a répondu « Lorsque tu sauras rédiger une note de lecture, tu pourras critiquer mes décisions. » Je n'ai plus remis les pieds à la revue.

Au plus fort de ma collaboration à Prescrire, j'avais reçu toute la rédaction, un dimanche, dans la maison où je vivais, à quelques kilomètres de mon cabinet médical. C'était une fermette restaurée. Mes camarades, pour la plupart parisiens, m'avaient complimenté. En souriant, j'avais répondu « C'est grâce à la revue que j'ai pu m'endetter et l'acheter. »

Est-ce également grâce à elle (et à son rédac'chef) que j'ai pu écrire La Vacation ? C'est difficile à dire. Stylistiquement parlant, je ne crois pas. Même si j'ai flirté avec la fiction dans les pages de la revue, ces textes-là n'avaient rien à voir avec la construction et la langue du roman. Mais si je n'avais pas travaillé à Prescrire, et reçu de nombreux courriers me remerciant des textes que j'y publiais, je n'aurais peut être pas acquis l'assurance suffisante pour me lancer dans un roman. Et si j'avais dû me consacrer entièrement à un cabinet médical, je n'aurais peut être pas eu le temps et la force de l'écrire. 

Tous ces événements se sont déroulés simultanément, et je considère mon passage à Prescrire comme une étape majeure de ma formation scientifique, critique et écrivante. Il serait donc malhonnête (et idiot) de prétendre que la publication de mon premier roman ne doit rien à la revue, à ses lecteurs, aux trois médecins trop tôt disparus – Pierre Ageorges, Patrick Nochy et Alain Metrop - qui m'y avaient pris en amitié. Et peut être, un peu, tout de même, à son Grand Timonier.

Néanmoins...

Dans son autobiographie, Jerry Lewis raconte qu'à la fin de sa collaboration avec son complice Dean Martin, il était extrêmement déprimé. Lewis avait toujours voulu être cinéaste. Hal B. Wallis, le producteur des films du duo Lewis-Martin, accepta de le laisser mettre en scène son premier film en solo. Mais le producteur était une peau de vache et un profiteur de première et, comme Lewis était sous contrat avec lui, il exigea en échange de le faire jouer dans deux films ineptes avant de le libérer de ses obligations. Quand son contrat prit fin, Lewis adressa à Wallis un mot ainsi rédigé (je cite de mémoire) :

Cher Monsieur Wallis,
Je vous sais gré de m'avoir fait confiance et de m'avoir donné ma chance.
Toutefois, n'imaginez pas une seconde que je confonds ma gratitude et mes principes...

... et, avant de conclure par une formule de politesse passe-partout (Bien à vous) et de signer, Lewis gratifie Wallis d'une insulte typiquement américaine. Je pourrais la traduire de plusieurs façons, selon le sentiment éprouvé. L'équivalent français pourrait être "Allez vous faire foutre", "Je vous emmerde" ou "Vous êtes un sale con". 

Et, franchement, j'hésite. 


Mar(c)tin 


(A suivre...) 
Prochain épisode : Droits d'auteur, Traductions, Comic-books, Reader's Digest et Séries Télé (1989-1998) 



lundi 25 octobre 2010

Débuts de romans, 7 - par Lyjazz (Exercice n°15)

1- Je suis Antoinette. Je vais à un rendez vous. Nous sommes dimanche et malgré le calme des rues je me dépêche. Mon ami m’attend pour notre cérémonie hebdomadaire. Je sors du cinéma et j’ai encore le ticket dans la poche de ma veste. J’aime bi en les garder. Selon la saison, et les vêtements que je ressors du placard, je retrouve la trace et le souvenir de ce que j’ai vu les mois précédents. Ça me fait un bien fou. Ça m’aide à me retrouver dans ce cocon si protecteur du cinéma, même à distance. J’ai besoin de penser à ces vies rêvées, à ces mondes de fiction pour me sentir exister, de pouvoir les évoquer des mois après. Comme j’ai besoin de me sentir utile dans ce monde hostile et inhumain. Avec mon ami nous devons aller trier des kilos de nourriture (farine, riz, pâtes, sucre, confitures, etc) que l’on a reçu, pour fixer les menus de la Soupe de Nuit qui commence demain. Je lève la tête comme à chaque fois que je passe devant ce gratte-ciel aux reflets bleutés, tout vitré. J’ai cru voir un chat passer devant une fenêtre, vers le 5ème. Pourtant, je croyais que c’était uniquement un immeuble de bureaux… Pendant que j’ai les yeux au ciel je sens un homme qui me frôle, vite, il est en rollers.

 2- Tu regardes la scène de ta fenêtre. Tu sais que tu vas mourir et tu ne peux t’empêcher d’observer et de penser. Des gratte-ciel partout alentours tu ne vois que le gris sale sur les murs et les surfaces vitrées. Tu sens la saleté de la ville. Tu es imprégné de cette odeur qui veut dire la solitude dont tu crèves, au figuré pour l’instant. Ça te creuse au fond. Même si ta sœur est venue t’apporter un paquet de farine, en proposant de faire des crêpes. Tu as dit merci d’un air éteint, elle a dit qu’elle allait retrouver son chat. Tu ne sais même pas si tu l’as regardée. Tu la connais tellement. Tiens, elle a laissé un ticket de cinéma sur la table….

 3- Il va voir sa maîtresse. En chemin il pense à toutes celles qu’il n’a pas eues. Fernande l’hottentote qui le mettait en transe mais le paralysait. Herculine la callipyge au cœur gros comme ça mais à la gouaille infernale. Rosalba la douce qui mouillait tellement que son siège était humide et luisant comme après le passage d’un escargot. Luisita la rigolote qui allait danser en robe et fesses nues les soirs où son mari regardait son feuilleton préféré. Antoinette la prude capable de vous foutre la main dans le caleçon sous la table, sans changer son expression, tout en vous demandant des nouvelles de votre famille. Et puis aussi celle qu’il n’a pas vue, et qui doit avoir des caractéristiques elle aussi, non ? C’est que dans ces décors de cinéma c’est très facile de se croiser sans se voir…. Bon, ce n’est que partie (fine) remise. Oui, il est acteur de films X, un gars dont la bite en béton est le gagne pain le plus jouissif qui soit. Pourtant sa vie est tout à fait normale : il a un chat, il habite une petite maison devant un gratte-ciel, il achète son kilo de farine à la supérette du coin, il laisse trainer ses tickets de cinéma dans un vide poche à l’entrée.

jeudi 21 octobre 2010

Débuts de romans, 6 - par Ptisa --- (Exercice n°15)


1ère version

Ce truc vert collé sous ma patte, faut que je m’arrête et que je m’en débarrasse.
Tout ce monde qui se bouscule …
Outch !!! J’en crois pas mes moustaches, ils m’ont pas raté, ceux-là. Je ne sais pas si j’ai préféré les crampons de la chaussure de randonnée ou le talon de l’escarpin.
C’était une mauvaise idée de descendre ici, faut que je sorte. L’escalier : j’y vais !
Et cette mamie qui prend toute la largeur avec ses sacs de course … je vais y arriver, entre ses jambes, oui, c’est ça … Outch encore ! Mais c’est qu’elle va m’écraser ! Et tous ses paquets qui tombent de partout ! Au secours ! Et toute cette poussière blanche là, c’est quoi, de la farine … me voilà un beau chat blanc maintenant …
Me voici en haut : enfin le solei. Pas de soleil ? Me voilà à l’ombre des gratte-ciel.

2ème version

Une poubelle. Il y jette son ticket. Il entre dans le gratte-ciel. Il n’y a pas que des affaires qui se traitent ici. Il y a aussi des évènements populaires. Toutes ces femmes qui s’ébattent devant ces petits chats à à adopter. Pfff … Il les dépasse et entre dans l’ascenseur. Elles ne l’ont même pas vu. 25ème étage. Il cherche l’arme dans sa poche. Il sait qu’il n’est pas attendu. Il a tout prévu. Tout ira très vite. Il a même le paquet de farine.

3ème version

Ma recette de gâteau :

Achetez un ticket de métro pour vous rendre dans votre épicerie préférée au rez-de-chaussée d’un gratte-ciel. Passez devant tous les autres clients sans les voir, surtout le petit monsieur aux lunettes (vous comprenez, j’ai un gâteau à préparer !). Payez votre farine. A votre retour, posez votre manteau et enlevez vos ballerines. Enfin, chassez le chat de la cuisine. Maintenant vous pouvez commencer !

Ptisa

mardi 19 octobre 2010

Débuts de romans, 5 - par Younes J. (Exercice n°15)


1) Il lâcha le paquet de farine à la vue des deux fluorescentes amandes qui le fixaient dans les ténèbres. Le chat miaula sec. L'homme ne bougea plus, déglutit un semblant d'humidité dans un palais sec. Il pensait être en sécurité dans cette campagne de nulle part, il n'en avait parlé à personne et avait soigneusement préparé sa fuite après avoir balancé, durant une ronde de nuit, ce chat de malheur du haut du gratte-ciel new-yorkais où il bossait. Le chat était mort sans aucun doute, mais ce qu'il voyait devant lui ne pouvait être que l'âme de ce dernier venue se venger. Ces yeux, il les reconnaîtrait entre mille. Il sentit un petit écoulement de sang sur sa main, là il n'y avait plus aucun doute. La première fois qu'il eut affaire au félin, c'était à Central Park. La dame s'était levée du banc sans lui adresser le moindre regard, son chat la suivit. Il prit leur place sur le banc, un ticket de cinéma oublié attira son attention. Il le toucha à peine qu'il sentit la griffe sur sa peau glacée par le froid. Depuis, la plaie était aussi vivante que le souvenir.

2) En demandant à l'épicier le paquet de farine pour ta mère, tu hésites à acheter le Matin du Sahara. Son prix vaut le ticket du cinoche du quartier qui passe ''Les Incorruptibles'' et un nanard Shaolin truc de Hong-Kong. C'est lundi aussi, il y aurait peut-être une annonce ou deux sur lesquelles tu pourrais postuler. Enfin, tu te dis que le film de De Palma est plus agréable que le casse-tête des lettres de motivation qui n'aboutissent jamais. Le chat de l'épicier t'énerve car il cherche un peu d'affection et sa maigreur ne fait que te renvoyer l'image de toi-même, un jeune casablancais qui s'enlise dans le chômage. Tu l'aimes bien, pourtant tu te retiens de le botter. Le parfum d'une femme éveille tes sens, mais tu préfères lui céder ta place en emportant la farine. Et puis, c'est décidé, tu passeras l'après-midi au Cybercafé. Google Earth te fascine, tu n'en reviens de pouvoir panneauter les grattes-ciels de New York comme un gosse à l'affût de la vie des autres. Au moins, au petit tarif que tu paies, tu peux faire le tour du monde.

3) Je suis du genre méticuleux. Discret aussi, aucune trace même sur le plus banal ticket de métro. Les collègues me collent plusieurs étiquettes dont je n'ai cure. Ce matin, on m'appela très tôt et on me passa la ligne. L'homme parlait arabe, il devait être du Golfe. Ils ont besoin de moi pour une affaire délicate. Des menaces planent sur le plus haut building de Dubaï, Burj Khalifa. L'homme ne voulait rien dire de plus, ce sera très généreux et à moi de décider vite, la connaissance de l'arabe est mon deuxième atout. J'aurais pu l'envoyer balader avec mon arabe de la banlieue parisienne, mais j'aime prendre mon temps. J'ouvre un paquet de farine et me prépare calmement de bonnes crêpes. Mon unique compagnon en raffole et il le fait savoir en ronronnant dans mes oreilles. Je lui dit que je réfléchis à la possibilité de partir pour une mission et que je dois lui trouver de la bonne compagnie durant mon absence. Il a l'habitude maintenant. Comme à chaque fois, une fille sympa qui ne me croisera que le temps de lui confier mon chat.

dimanche 17 octobre 2010

Débuts de romans, 4 - par Thomas L. (Exercice n°15)


Les gueulements du chat emplissaient le palier du quatrième étage, aussi efficacement au moins que l’odeur de pourriture qui faisait comme une mélasse à respirer. Les gars enfoncèrent la porte. Tableau classique. Le vieux couple incurique, c’est le moins qu’on puisse dire. Le mari rongé par les vers sur le sofa du salon, il avait dû y passer en premier. La femme dans la chambre à coucher, sur le lit, rongée par le chat, elle. C’est comme ça qu’il avait survécu, le matou, en boulottant une oreille par ci, un orteil par là, lorsqu’elle avait cessé de le nourrir, pour raison impérieuse comme on le voit. Mais les lieux étaient à l’abandon depuis bien plus longtemps que ça, il suffisait de regarder les dates sur les tickets de ciné qui trainaient un peu partout, ou sur le paquet de farine éventré dans les chiottes, plein de vers lui aussi. Le mari, Alzheimer, d’après le concierge, et la femme commençait à perdre la boule aussi, à force de porter son bonhomme à bout de bras depuis des années. Ces deux-là, ça faisait déjà un bon bout de temps qu’ils se croisaient sans se voir. L’odeur, ça m’a jamais dérangé, mais le chat faisait peine à voir. J’ai laissé les gars du labo bosser, et je suis descendu prendre un café au bistro pelotonné en bas du gratte-ciel.


~
Il faut que tu saches comment les évènements se sont produits, de quels endroits et de quels temps sont venus les étrangers qui ont bouleversé ta vie. Je te dois cette lettre. Je ne voulais pas t’impliquer dans tout ça, mais je ne pouvais pas prévoir que ton chat dénicherait le Cube au fond de ton fournil, derrière les sacs de farine. Je n’avais pas eu le temps de trouver une meilleure cachette. Le mauvais sort s’en est mêlé : au moment où tu apportais le Cube à l’Ancien, la capitaine sortait de la Zone avec sa compagnie, à une rue de toi à peine, en direction des gratte-ciel effondrés qui forment comme des dents à l’horizon. Aurait-elle vu ce que tu tenais entre tes mains que tout le reste t’aurait été épargné. L’Ancien ne t’aurait pas délivré ce laisser-passer pour les Vieux tunnels, avec mission d’amener l’objet opalescent et étrangement pesant au Conseil. C’est vrai, il aurait dû faire rappeler la capitaine, mais après les troubles du mois précédent, comment lui en vouloir de sa méfiance ?


~
La vieille trottinait sur le trottoir, son cabas à la remorque. Il ne contenait guère qu’un paquet de farine et un paquet de croquettes pour son minet, mais, hé !, les choses sont lourdes à cet âge. Et les distances sont longues, c’est pourquoi elle farfouilla dans son sac à la recherche d’un ticket, et fit signe au conducteur du bus qui approchait. La marche du véhicule n’était pas bien haute, mais les marches prennent de la hauteur lorsqu’on a trop de décennies de trottinement dans les jambes. Toute empêtrée à hisser le cabas, la vieille ne fit pas attention au jeune homme qui descendait du bus - sans l’aider ! - et lui ne porta pas davantage attention à la vieille, car on n’a pas le temps de poser son regard sur les ancêtres lorsqu’on est un jeune trader en uniforme, engoncé dans un costume sur mesure malcommode, la gorge nouée dans une cravate serrée de près, en qu’on est en retard pour une nouvelle longue journée dans les bureaux climatisés d’un gratte-ciel quelconque. C’est dommage qu’ils ne se soient pas vus, reconnus. Cette histoire familiale aurait - peut-être, mais le sort est rarement tendre avec les histoires familiales - connu une conclusion plus heureuse.
~~~

jeudi 14 octobre 2010

Statistiques du blog : 3e trimestre 2010

Ce blog existe depuis août 2009, mais les "statistiques de fréquentation" ne sont opérationnelles que depuis le mois de juillet 2010... Et je ne les ai découvertes qu'il y a quelques jours.
Comme certains résultats m'ont surpris, je me suis dit que j'allais les partager avec les utilisatrices/teurs du blog. Les voici. (Mais rappelez-vous qu'elles ne portent que sur les trois mois et demi écoulés).

Nombre de pages lues entre le 1er juillet et le 30 septembre 2010 :

14922 (moyenne : 4300 pages par mois)

Parmi les 10 articles les plus lus au trimestre écoulé :


Page de rubrique la plus consultée au trimestre écoulé :


Principales sources du trafic au trimestre écoulé (d'où viennent les internautes qui ne se connectent pas immédiatement sur le blog) :

Rezo.net, Martinwinckler.com, Google, Facebook, mais aussi d'autres blogs : "Du sport mais pas que", "Ecrire... Pourquoi ? Comment ?" et "Sédiments". Merci, amis écrivants ! 

Localisation géographique des visiteurs/teuses (en pages vues) au trimestre écoulé :
France (2325), Canada (345), Etats-Unis (103), Belgique (76), Inde !!! (71), Espagne (59) Suisse (53), Allemagne (32), Royaume-Uni (21), Israël (21)

Voilà... Je ferai le point des statistiques de temps à autre, pour que tout le monde puisse suivre.

Merci à tous et à toutes pour votre fréquentation et votre participation (passée, présente ou future). 
Mar(c)tin 

mercredi 13 octobre 2010

Débuts de romans, 3 - par Martine B. (Exercice n°15)


Chick Lit :
Aujourd’hui Je suis rentrée du boulot d’une humeur massacrante, alors j’ai sorti de l’eau, de la farine et du sel et j’ai  longuement pétri une pâte à pain pour me défouler, sous le regard intrigué de George, mon chat siamois. La raison de cette  agitation ? Mon boss est furieux après moi, il ne m’a pas calculée ce matin quand on s’est croisés au quarante-deuxième étage du gratte-ciel dans lequel la société s’est installée récemment. Si je vous disais que c’est un malheureux ticket de cinéma qui a déclenché toute l’histoire, je suis  sûre que vous  ne me croiriez pas. Et pourtant…


Roman noir :
L’homme tapi dans l’ombre de l’imposant gratte-ciel de verre fumé observait la jeune femme qui  rentrait chez elle, un paquet  de farine à la main. Elle était superbe, le genre de fille qui ne s’intéresserait jamais à lui, et  il fallait qu’elle paye pour cela. Au moment  même où Il allait lui emboiter le pas un grand type au front dégarni sortit de l’immeuble ; le téléphone à l’oreille, il était tellement absorbé par sa conversation qu’il ne prêta attention ni  à la jeune femme ni au chat noir qui s’était faufilé dans le hall. Cependant le guetteur  ne prit  aucun risque et regagna la station de métro toute proche. « On se reverra, ma belle, on se reverra » se promit-il en compostant son billet.


Autofiction :
Tu écris l’histoire de ta pauvre petite vie à la deuxième personne, pour prendre de la distance dis-tu, mais  tu es bien le seul à le croire. A tes pieds,  ton chat joue nonchalamment avec un vieux ticket de métro. Tu es en mal d’inspiration, tu vas fumer une cigarette sur la terrasse, tu ne te lasses pas de cette vue sur les gratte-ciels de  la ville. Tu observes ce qui passe dans la rue. Le boulanger d’en face tend un paquet de farine à une cliente.  Dans le café à côté, une femme, seule à sa table, boit un café. Elle porte une robe bleue. Quelques mètres plus loin,  un homme en costume sombre regarde par la fenêtre, l’air absent. On dirait un tableau d’Edward Hopper.

mardi 12 octobre 2010

Parfois, on n'écrit pas... par Mar(c)tin

Parfois, on n'écrit pas.

              
Alors même qu'on est un écrivain "professionnel" - j'entends, quelqu'un qui fait ça tout le temps, pour gagner sa vie --- et attention, qu'on ne se méprenne pas, je pense que les écrivains qui écrivent sans publier ou vivre de leur plume sont des écrivains tout autant, et qu'ils sont capables d'écrire comme des pros, mais ce ne sont pas des écrivains professionnels, si vous voyez ce que je veux dire (et par professionnel, là, j'entends même un peu "mercenaire", mais c'est une autre histoire).


Donc, parfois, on n'écrit pas
Pendant un bon moment. Des jours, des semaines. 
C'est troublant de ne pas écrire quand on a passé la plus grande partie de sa vie à le faire empêché, ou à se battre pour pouvoir le faire librement. 
Bien sûr, il y a des tas de raisons pour lesquelles on peut ne pas écrire alors qu'en principe on gagne sa croûte avec ça.

D'abord (c'est le meilleur des cas) on peut ne pas écrire parce qu'on a gagné beaucoup d'argent, et on décide qu'on n'a pas besoin d'écrire en ce moment pour gagner sa croûte.
Pour ce qui me concerne, c'est une situation hypothétique. Même quand j'ai gagné beaucoup d'argent (juste après la publication de La Maladie de Sachs), j'ai écrit beaucoup. Le fait d'avoir gagné beaucoup d'argent m'a incité à écrire des livres que je n'aurais pas pu écrire auparavant, comme Contraceptions mode d'emploi, par exemple. Je me suis dit : "Si je ne les écris pas maintenant, il est bien possible que je ne puisse plus le faire plus tard, quand je devrai de nouveau écrire pour gagner ma vie."

Mais j'imagine que quelqu'un qui est fatigué d'écrire, qui est "vidé" d'avoir écrit beaucoup et qui n'a pas de souci matériel peut avoir envie de faire une pause, de partir en voyage, de s'occuper de ses enfants s'il/elle en a ou d'un(e) conjoint(e), ou d'un parent âgé, ou d'une association caritative, par exemple. Au fond, un écrivain qui décide de ne pas écrire pour se consacrer à d'autres activités, ça n'est pas différent d'un acteur qui, entre deux films, prend du temps pour faire autre chose.

Je me demande par exemple ce que fait J.K. Rowling depuis qu'elle a fini ses Harry Potter. Bon, elle a publié un autre livre (des contes, je crois) mais on ne peut pas dire qu'elle sature le paysage éditorial. J'ai lu il n'y a pas très longtemps qu'elle n'écartait pas (ou plus ?) la possibilité de faire revenir Harry dans d'autres livres. Et je dois dire que ça m'a fait plaisir. Pourquoi ? Parce que j'ai le sentiment que cette femme est un écrivain populaire pour la vie, et ça me faisait mal au coeur de penser que ses sept volumes avaient pu la lessiver complètement.

Et ça me réjouit de penser que si elle écrit un nouveau livre (ou un nouveau cycle ) ce ne sera pas parce qu'elle a besoin d'argent (elle en a gagné assez pour vivre dix vies) ni pour avoir plus de gloire (elle est tranquille de ce côté là aussi) mais parce qu'elle a envie d'écrire. Parce qu'elle a d'autres histoires à raconter. Et ça, ça fait vraiment chaud au coeur. 

Si ça n'est pas parce qu'on n'a pas besoin (financièrement) d'écrire, on peut ne pas écrire parce qu'on ne peut pas.  

Parce qu'on ne sait pas quoi écrire (ou par quel bout prendre ce qu'on a eu l'idée d'écrire). Parce qu'on doute de l'intérêt de ce qu'on imagine qu'on pourrait écrire. Parce qu'on a le sentiment qu'on est vide et creux (comme si on venait de terminer le Harry Potter 7...) Parce qu'on ne voit pas à quoi ça sert. Parce qu'on se demande à quoi sert quoi que ce soit. Parce qu'on n'a pas envie d'ajouter un énième livre aux dizaines de milliers de livres qui sont publiés chaque année, en France seulement... Parce qu'on ne pourra jamais faire aussi bien que les écrivains qu'on lit et qui nous font tant de bien quand on se contente modestement de lire, au lieu de prétendre se mesurer à eux.  Parce que de toute manière, tout ce qu'on écrira, bon ou mauvais, sera noyé dans la masse et touchera moins de lecteurs que les livres promus à grands renforts de passages à la télé et de panneaux dans les couloirs de métro. Et d'ailleurs, il faudrait d'abord qu'on le finisse, ce foutu... Ce foutu quoi, d'ailleurs ? Livre, essai, conte, recueil de nouvelles, modeste (cent vingt-cint pages seulement, mais dites moi, est-ce qu'on peut vraiment dire des choses intéressantes en si peu de pages) ou imposant (sept cents pages cette fois-ci, mais dites moi, peut-on avoir autant de choses à dire, vraiment, sans ennuyer le lecteur ?). Parce que de toute manière, ça ne sera jamais aussi beau, aussi profond, aussi réussi une fois sur le papier que ça voudrait l'être là, dans la tête...

On n'écrit pas, parce qu'on n'a pas la force. Parce qu'on est écrasé par la tâche. Parce qu'au lieu de mettre une pierre sur l'autre, on n'arrête pas de voir (enfin d'imaginer) le résultat fini, et justement ça n'est pas possible. On ne peut pas voir le résultat fini parce qu'écrire un livre, ça n'est pas comme construire une maison ou paysager un jardin. Il n'y a pas de dessin préparatoire qui te montre le produit fini à l'échelle, en long en large et en travers.

Écrire un livre, comme (j'imagine) écrire une symphonie ou faire un film, ça ne peut se planifier que très approximativement. Toutes les listes, tous les "déroulés", tous les plans – The best laid plans of mice and men – s'évanouissent à mesure qu'on écrit.

Tiens, moi qui vous parle, par exemple, j'ai des "notes préparatoires" à tous mes romans. Des dizaines de pages, rédigées à la main (sur des carnets moleskine, depuis que c'est redevenu à la mode, j'en ai acheté au moins une trentaine) ou dans des fichiers informatiques contenant des milliers de signes.

Seulement, de toutes ces notes, je n'ai le plus souvent gardé que des fragments, des bribes, et j'ai tout négligé - voire pas relu la moindre ligne, ou alors embrayé sur une phrase ou un chapitre et vogué comme ça librement.

Et donc, préparer le grand-roman-du-grand-tout-qui-va-révolutionner-la-littérature-d'aujourd'hui-et-de-demain-que-même-Michel-Houellebecq-il-en-reviendra-pas, ça ne se fait pas comme ça, simplement, à coups de notes, même si les notes en question prennent des pages ou des dizaines de feuillets virtuels.
Alors, on n'écrit pas, on note. On tourne autour du pot. On réfléchit. On lit. Des livres ou des articles qui n'ont pas trop de relation avec ce qu'on veut écrire. Ou qui en ont, mais qui vous donnent la sensation que ça vous fait avancer dans la pensée du livre-à-écrire. Qui n'en finit pas de s'échapper et de se faire désirer, ce salaud.
Et parfois on regarde des films ou des séries télé ou des documentaires animaliers ou des émissions scientifiques ou des dessins animés, ou n'importe quoi
Et puis parfois, quand on en a marre de tourner autour du pot et de lire les autres et de regarder les histoires des autres et de ne pas écrire, de ne rien écrire, de ne rien arriver à écrire, ni le roman-du-grand-tout ni autre chose,
parfois, on en a marre et on s'énerve et on se dit que c'est pas parce qu'on ne va pas bien qu'il faut rester seul dans son coin, y'a pas de raison de pas en faire profiter (ou de pas enquiquiner) les autres avec ça.
Alors, on s'assied à son clavier et on se met à écrire que parfois on n'écrit pas. Pas pour gagner de l'argent, ni même pour accroître sa renommée. Mais juste comme ça.
Pour la rage et le plaisir.
D'écrire.