mercredi 14 octobre 2009

Crime parfait - par Magali Bouclier (Exercice n°4)

République Française
Ministère de l’Intérieur, de la Sécurité Intérieure Et des Libertés Sociales
Direction Générale de la Police Nationale

Procès Verbal établi le 07 04 2009
Par l’agent de la Paix numéro 200045891 B C 32-4 : Jean Claude Duchêne
Objet : homicide sur la personne de Mme d’Estivelle Marie Ange

Reçu ce jour dans notre commissariat pour interrogatoires contradictoires les sous-nommés :
Mr d’Estivelle Marc
Mr d’Estivelle Richard
Mme d’Estivelle Véronique
(état-civil, adresses en annexe A1)

Extrait de l’interrogatoire Témoin n°1 : D’Estivelle Marc
Age : 40 ans
Professions : médecin
Le témoin déclare avoir retrouvé sa mère étendue inanimée dans la cuisine de la résidence familiale des marques de strangulation autour du cou. Il a tenté de porter les premiers secours à la victime mais ses efforts sont restes vains.
A téléphoné aux services de police immédiatement, est parti à la recherche de Mme d’Estivelle Véronique qu’il a retrouvé prostrée dans la chambre d’amis.
L’a interrogé sur d’éventuels cambrioleurs qui se seraient introduit dans la maison, n’a obtenu que des paroles incohérentes de la part de sa femme.
Elle m’a dit : « j’ai eu sa peau la salope »
Question : votre femme avait elle des problèmes psychologiques ?
Réponse : nous sommes mariés depuis très peu de temps mais je connais ma femme depuis plus d’un an. Elle est d’un caractère sensible et timide, je l’ai rencontré chez des amis communs, elle vient d’un milieu social nettement inférieur au mien et j’avais l’espoir qu’elle trouve une nouvelle famille au sein de la mienne. Il est vrai que ma mère fait heu faisait partie de cette haute bourgeoisie intransigeante sur les origines sociales et très à cheval sur les principes d’éducation. Elles n’ont guère eu le temps de s’apprivoiser l’une l’autre. J’ai senti une réticence de part et d’autre dès la première rencontre mais je pensais que le temps allait faire son œuvre et qu’elles trouveraient toutes les deux des terrains d’entente : ma femme rêvait d’avoir des enfants, ma mère est heu était elle-même mère de quatre enfants… Vous voyez quoi : une complicité maternelle…

Extrait de l’interrogatoire Témoin n°2 : D’Estivelle Richard
Age : 75 ans
Profession : Médecin retraité
Le témoin déclare que quand les faits se sont produits il se trouvait dans le jardin, à l’opposé de la cuisine et qu’il n’a rien remarqué d’anormal. C‘est son fils qui est venu le prévenir de ce qui venait de se passer.
Question : que pensez-vous de votre belle fille ?
Réponse : mon fils nous a présenté sa femme il y a quelques semaines à peine. Autant vous dire qu’aussi bien ma femme que moi n’étions pas d’accord sur cette union. Mais mon fils n’a voulu écouter aucun de nos avis et ce mariage a eu lieu. Ma femme a essayé de faire bonne figure, elle les a reçus avec beaucoup de bienveillance, et à tenter de superviser du mieux qu’elle a pu le jeune ménage. Conseils, idées, elle a souvent durant ces quelques semaines montré la voie à cette jeune femme, nous avons un réseau de connaissances dont elle aurait pu profiter pour essayer de se faire une petite place dans la région. Non elle n’était pas d’ici, une femme du Nord oui , qui ne travaillait pas de surcroit. Pas très brillante, un peu effacée, je ne sais vraiment pas ce que mon fils pouvait lui trouver comme qualités .Ma femme avait quand à elle un certain tempérament, un rien obsessionnelle de l’organisation oui, une vraie femme de médecin elle, ayant élevé quatre enfants oui. Mon ainé est architecte, sa sœur est avocate, mon troisième fils a embrassé la carrière militaire et le dernier est médecin oui comme son père. Nous avons de nombreux petits enfants et un véritable esprit de famille.
J’avoue que je ne comprends pas ce qui a pu déclencher une telle folie.

Extrait de l’interrogatoire Prévenue : Mme D’Estivelle Véronique
Age : 28 ans
Profession : sans
La prévenue déclare avoir étranglé sa belle mère avec un torchon de cuisine.
Question : pourquoi avoir fait cela ?
Réponse : j’ai perdu la tête…
Question : vous n’aviez pas de bons rapports avec votre belle mère ?
Réponse : mon mari est un homme parfait, cultivé, gentil, sérieux, dont l’ordre et l’organisation me rassuraient. Il aime beaucoup ses parents. J’étais très inquiète de les rencontrer et de leur plaire. Je pensais entrer dans une famille qui m’accepterait et m’aiderait à trouver mon chemin. Mais ma belle mère a voulu dès le départ tout décider, tout régenter elle n’a cessé de m’humilier et de me faire sentir nos différences.
Ce matin là elle m’a offert un paquet ravissant avec les mots suivants : « pour les rameaux, toujours quelque chose de nouveau » et quand j’ai ouvert la boite j’ai trouve ce torchon de cuisine. Devant ma surprise elle m’a prise par la main et fait admirer avec quel soin elle avait elle-même brodé les motifs d’un calendrier.
Elle m’a dit : « voilà ma petite, en rouge les dimanches comme vous pouvez le voir, afin que vous n’oubliez pas les déjeuners familiaux que nous donnons toutes les semaines Richard et moi. En bleu les vacances il va de soi que vous les passerez à nos côtés : l’hiver aux Maldives, Février à Gstaad, l’été à Cap d’Ail. En vert les dates anniversaires des membres de la famille, vous le savez nous sommes nombreux : enfants, conjoints, petits enfants.il ne saurait être question de manquer à la tradition. En jaune la semaine de bénévolat que nous effectuons toujours à Lourdes. En violet les jeudi où vous aurez la permission de recevoir vos relations dans le grand salon oui oui le violet et bien vous voyez vous comprenez vite quand vous le voulez finalement vous avez l’air plus gourde que vous ne l’êtes ma chère. Oui j’ai laissé en blanc quelques espaces pour lesquels vous pourrez broder vous-même une occupation qui vous plaît. Le cinéma ha quelle horreur, quel passe temps commun et ordinaire… et là Monsieur l’agent je ne sais pas ce qui m’a pris, la goutte d’eau qui fait déborder le vase, j’ai attrapé le torchon et j’ai serré serré serré…

Pendant l’interrogatoire de la prévenue, l’agent de la paix Jean Claude Duchêne relève plusieurs fois la tête, dans son angle de vue l’unique fenêtre de son bureau. Elle donne sur le bistro de la place centrale. A l’intérieur, attablés autour d’un café, les docteurs D’Estivelle père et fils se congratulent :
« Tu vois mon fils toujours miser sur les femmes, ces êtres fragiles et manipulables : une enfance malheureuse, une personnalité fragile, une pincée de syndrome pré menstruel, un soupçon d’agressivité hyperthyroïdienne… en fait je n’aurai pas choisi mieux que cette petite Véro pour nous libérer de cette virago acariâtre qui nous a pourri la vie bien trop longtemps »