dimanche 22 novembre 2009

Docteur Prose

Montréal, salon du livre, 20 et 21 novembre 2009.

Onze ans après le Livre Inter et notre première rencontre (je ne l'ai revu qu'une fois entre temps) je passe deux longs moments avec Daniel Pennac, invité d'honneur avec Tonino Benacquista du Salon du Livre de Montréal.

En me revoyant, Pennac me salue comme si nous étions deux vieux amis. Et en un sens, c'est vrai : il me raconte que sa compagne a lu à haute voix Le Choeur des femmes pendant qu'il traversait la France pour se rendre dans leur maison du Vercors (à moins que ce ne soit au retour ?) ; de mon côté, je lui dis combien Chagrin d'école, de même que Comme un roman sont des livres importants à mes yeux.

La première rencontre, le soir de la délibération du Livre Inter, dans les salons de Radio-France au milieu des 24 jurés, était une rencontre de sensibilités et d'intelligence réciproque. En dînant avec lui, hier soir, avec sa femme Mine et MPJ à la table où nous avaient invités notre diffuseur commun au Québec, Gallimard Ltée, j'ai senti une nouvelle fois tous les "atomes crochus" qui me l''avaient d'emblée rendu si familier, si fraternel.

Pennac est un type comme je les aime : cultivé et jamais hautain, grave sans jamais perdre son humour, respectueux et chaleureux. C'est un bonheur de parler avec lui et de l'écouter raconter des histoires. Il me décrit ainsi plusieurs idées de nouvelles qu'il n'a jamais eu le temps de mettre en oeuvre, désolé de la lenteur avec laquelle il écrit, précisant avec humilité que cette lenteur n'est même pas - hélas ! - gage de qualité. Je me dis que j'écrirais volontiers avec la même lenteur si j'étais assuré de produire des livres "d'aussi piètre qualité" que les siens.

Comme moi, il aime parler de ses livres en cours : contrairement à d'autres écrivains, il n'a pas le sentiment que le fait d'énoncer verbalement une idée va l'éventer ou la dilapider, mais que la narration parlée prépare l'écrit.

Parler avec Daniel Pennac, c'est entendre un récital d'histoires.

Et puis l'homme est plus que généreux. Ce midi, en tête à tête avec Jean-Paul Hirsch, "ange gardien" des écrivains (et bras droit de Paul Otchakovsky-Laurens)  chez P.O.L., je lance que j'aimerais bien écrire un "petit livre" dans le genre de Comme un roman et Chagrin d'école. 

Arrive Pennac, qui vient de passer une heure et demie à signer sans interruption (vingt minutes avant la séance, on tendait des rubans le long du stand pour canaliser les lecteurs déjà dans l'attente de son arrivée ; il est aussi aimé au Québec qu'en France). Immédiatement, je lui lui dis que j'aimerais écrire un livre qui ne soit ni un roman ni une réflexion théorique mais qui ressemble à ses deux ouvrages - et tandis que je peine à les définir il murmure :
" Un essai narratif."
" C'est ça..."
"Eh bien figure-toi que j'ai pensé à ça cette nuit, après t'avoir entendu parler de médecine hier soir au dîner. J'ai pensé : 'Il y a un livre que seul Martin pourrait écrire autour de la relation étrange que nous avons avec les médecins.' Tu le fais déjà dans tes romans, mais tu pourrais le faire aussi sous une autre forme. C'est ton domaine. C'est ton expérience. "

Et il poursuit en me confiant  qu'à son avis, Comme un roman et Chagrin d'école, au fond, sont des livres qui parlent de la peur et de l'humiliation - la peur et l'humiliation de ceux qui se sentent "disqualifiés" par des discours dogmatiques.

La conversation me fait un bien fou. C'est une de ces conversations qui éclairent, libèrent, allègent l'esprit. D'un seul coup, mes complexes s'envolent : oui, j'ai suffisamment d'expérience pour écrire un "petit livre" comme ceux de Pennac.  Et je me sens porté par son mouvement généreux, son désir de soulager, de déculpabiliser, de réhabiliter.

Mais ça n'a rien d'étonnnant, au fond : l'écriture de Pennac soigne.

Martin Winckler

15 commentaires:

  1. Je bois du petit lait en vous lisant.

    Pennac est, avec vous et Fred Vargas, le troisième auteur français que je place sur mon podium personnel.

    Vous avez sacrément de la chance de pouvoir le rencontrer et d'être son ami !

    Son idée de livre est excellente. Mettez vous y tout de suite, là, maintenant, et je suis persuadé que vous nous pondrez quelque chose d'excellent

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  2. Dans mon imagination de lectrice, je vous ai toujours associé, Pennac et vous ! Vous écrivez des choses différentes, où quelque chose d'absolument essentiel est toujours présent. En vous lisant, là, j'ai compris quoi : du respect pour les gens, et donc pour les lecteurs, de l'estime que vous envoyez l'un et l'autre vers nous...

    Peut-être, en effet, vos livres à l'un comme à l'autre parlent-ils de "peur et humiliation", mais pour mieux vous en purger, et du coup, nous aussi qui vous lisons...

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  3. mais ce "petit livre", vous l'avez déjà écrit ! "en soignant, en écrivant", c'est un livre que moi je place à égalité avec "comme un roman". J'ai offert 10 fois peut-être "Comme un roman", particulièrement aux amis enseignants, et plusieurs fois aussi "en soignant..." à des camarades de ma soeur qui était en P1 l'année où je l'ai découvert...

    Je relis les deux très régulièrement. Certes le côté "recueil de chroniques" du votre fait qu'on ne peut pas dire que c'est un "essai narratif", cependant je pense que toute la "matière" est là...

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  4. J'ai toujours pensé que vous aviez l'un comme l'autre des écritures qui soignaient. D'autant plus heureuse de vous l'entendre écrire.

    Il y a bientôt 4 ans de cela, à la foire du livre de Bruxelles, alors que j'étais extrêment vacillante d'une rupture que je ne comprenais pas, Daniel Pennac avait été particulièrement délicat avec moi (nous ne nous connaissons pas, j'étais juste quelqu'un qui se trouvait là), prenant, bienveillant et attentif, le temps de me parler un peu, entre autre d'une de ses anciennes élèves.
    Or il était fort sollicité puisqu'il s'apprêtait à (ou venait de) jouer "Merci" devant une salle comble.
    Ça n'a l'air de rien mais j'étais en plein effondrement intérieur et je lui dois, ainsi qu'à un ou deux autres, d'avoir pu finalement traverser ce jour-là.
    Je profite donc que vous parliez de lui pour dire à mon tour Merci.

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  5. et c'est pour ça que vous étiez beaux et tout ouverts tous deux sur cette photo que je vous ai envoyée
    http://www.tierslivre.net/krnk/spip.php?article825

    heureusement qu'on a ces endrotis de fraternité et de partage (puisque les 3 évoqués ci-dessus m'ont associé à ce partage), malgré contexte qui pousse à tout le contraire

    ceci dit, le livre dont tu parles, est-ce qu'il n'est pas "déjà" écrit à travers tous les précédents ?

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  6. J'ai aussi un sentiment "joyeux" à lire Daniel Pennac. Il a une écriture magnifique, et c'est vrai que je l'oublie trop souvent dans les livres que j'offre...Peut-être parce qu'il est très connu, je ne sais pas.
    J'aime aussi l'entendre (comme quoi les émissions littéraires peuvent servir à quelque chose, et à autre chose que d'inciter à acheter des livres ).
    Il fait partie des gens non dogmatiques, et Dieu que c'est bon!
    S'il a libéré des "complexes" en vous, qu'il en soit remercié! Parce qu'il vous a faiy du bien, et parce que nous, lecteurs, nous aurons un petit bijou à lire, moi je n'en doute pas.

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  7. @ Viviana et FB : oui, la matière du livre est déjà écrite, mais pas dans un livre qui traite de ce sujet précis : alléger l'angoisse, lutter contre la peur sur laquelle jouent les marchands de tous acabits. Le livre que j'ai envie de faire est moins militant, plus direct, plus centré sur le ressenti de chacun de nous que sur les marchands et les médecins. J'ai aussi essayé de faire ça (pas très bien) dans "C'est grave, Docteur ?" et "Nous sommes tous des patients". Décidément, c'est vrai, j'ai trop publié. Je me suis éparpillé. Il est temps que je remédie (haha) à ça.

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  8. Merci François Bon pour la photo.

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  9. un nouveau livre de M.Winckler "inspiré" par Pennac, c'est la meilleure nouvelle du weekend ! merci à tous les 2.

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  10. Oui, Pennac je l'aime mais c'est bête ça fait longtemps que j'ai pas lu un de ses livres, faut que j'en achète quelques uns j'ai du retard.

    Merci pour la photo!

    Sinon j'ai lu ça dimanche dernier alors je vous en fait profiter:
    "La main de Bambolina voit, guérit et apaise. C'est pour ça que ce qu'elle touche, elle sait le redire ensuite en poésies comme les conteurs. Mon père disait que celui qui naît avec le talent de raconter est aussi quelqu'un qui guérit..."
    C'est à la page 588 dans "L'Art de la joie" roman exceptionnel de Goliarda Sapienza, merveilleuse traduction française de Nathalie Castagné parue chez Viviane Hamy.
    Mais vous pouvez commencer par le début plutôt que par la page 588...

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  11. Hier, j'ai ressorti 'Chagrin d'école' de ma bibliothèque, et que ça fait du bien de le relire, même si les élèves ont bien changé depuis 1995, date où Pennac a arrêté d'enseigner je crois...J'ai proposé à des classes de seconde des ateliers d'écriture car je me suis aperçue que même s'ils ont un bon niveau d'anglais et davantage d'imagination peut-être que les générations précédentes, certains ont du mal à "construire" un texte (voire un paragraphe ou une phrase)et à respecter les consignes de départ. Une élève m'a dit l'autre jour que pendant les années collège elle n'écrivait pratiquement qu'en langage texto , mais que maintenant elle se remettait à écrire "normalement". Ouf, y'a de l'espoir!

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  12. Anne-la-bibliothécaire23 novembre 2009 à 16:41

    Le concept d'écriture qui soigne est intéressante car certains livres, dont les vôtres, mériteraient d'être remboursés par la sécurité sociale tant ils soignent l'âme et font un bien fou après leur lecture. Ils laissent en tout cas une trace indélébile dans le coeur. C'est du moins ce que j'ai ressenti à la lecture de certains de vos livres tels que "Plume d'Ange", "la Maladie de Sachs" et plus récemment "le Choeur des femmes". A quand une vignette sur vos livres ?

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  13. J'ai eu la chance, le privilège, le bonheur de faire partie des 24 jurés du Livre Inter l'année où Daniel Pennac fut président du jury et Martin lauréat.
    On n'aurait pu rêver mieux ! Quelle évidente fraternité entre ces deux-là ! La même attention aux autres, le même humour (grinçant envers les Suffisants), la même simplicité, la même modestie, la même tchatche (mot pied-noir qui signifie parler beaucoup, à l'origine utilisé avec une connotation plutôt négative, mais plus, depuis qu'il a été largement repris dans le parler du Midi de la France (note pour nos amis québecois)). Ah quels beaux raconteurs d'histoire !
    Comment oublier Pennac nous chantant Damia pendant les délibérations ?
    Comment oublier tous les échanges avec Martin ?
    Vous savez le plaisir que nous apporte la lecture de leurs livres, alors imaginez celui de les avoir tous les deux en vrai et de pouvoir leur parler...

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  14. Moi je me soigne à l'hôpital où officient Djinn et Franz,
    je me soigne à la lecture selon Pennac, et je soigne mes enfants (nous sortons de la médiathèque),
    Je me soigne à l'Histoire revue par Fred Vargas, et je revisite mes études (d'Histoire) avec l'Humanité qui leur a fait défaut.
    Je dis : enfin des Humains, qui parlent vrai, à l'âme et aux sentiments, qui ne se regardent pas le nombril mais considèrent leurs frères Humains comme d'autres pas ennemis, avec bienveillance, qui parlent de leurs fragilités sans les conspuer.
    Ouf : ça fait du bien !
    Du coup, je fait du prosélytisme, autrement appelée publicité, pour les écrivains que j'aime.
    ça soigne aussi, de parler de ce qu'on aime.

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  15. J'ai découvert et aimé Pennac avant vous. Il a renforcé ma vocation de prof de français, que j'avais perdue ou délaissée au hasard des petites aventures de ma vie. Il est aujourd'hui mon modèle, la prof que je veux devenir.

    Pennac et vous êtes les deux écrivains dont je me sens le plus proche, que j'ai l'impression de connaître par leur écriture (c'est très pompeux de le prétendre, et pourtant...), avec qui j'ai l'impression de dialoguer quand je lis leurs ouvrages. Vous soignez par les mots, vous offrez de la joie et du bonheur. On ressort changé après Chagrin d'école, après le Choeur des femmes.

    Je crois que ça tient à votre humanisme profond, à votre tolérance, à votre bienveillance et à votre ouverture d'esprit. On ne peut pas écrire ce genre de livre si on a peur d'autrui, si on n'est pas profondément altruiste (et vos deux métiers le confirment), si on n'est pas dans l'écoute et l'échange permanent. Vous êtes des révélations, des auteurs qui parlent à nos convictions profondes, si ce n'est à notre âme.

    Merci.

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